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ne manque pas de lui présenter à propos cet épouvantail. Elle a eu pourtant la noblesse de passer tranquillement à l’ordre du jour sur la lettre insolente de Bouillé ; mais ceux qui la travaillent connaissent bien son faible et savent s’en prévaloir. Il serait à souhaiter que, dans les provinces, le peuple un peu moins confiant sentit la nécessité de manifester son opinion et de régler l’Assemblée. Il serait aussi bien important qu’une autre législature fût nommée, mais il faudrait que les choix fussent bons, et, à voir ceux des électeurs en plusieurs endroits, on n’ose se livrer à l’espérance. Vous aurez vu le spécieux projet de Duport sur une fédération militaire et municipale ; c’était un moyen imaginé pour réunir des adorateurs de la vieille idole et la faire réintégrer.

Je ne sais, en vérité, que prévoir ; la seule chose qui me paraisse constante, c’est que l’impulsion vers la liberté est si forte et si générale, qu’il faudra bien que nous arrivions à cette liberté [fût-ce à travers une mer de sang[1]]. Les nations ne peuvent rétrograder ; la chute des trônes est arrêtée dans la destinée des empires, et si nous ne jouissons pas des fruits de la perfection sociale et politique, du moins nous la préparerons à nos neveux. Avec ce sentiment et cette perspective, quels obstacles sont insurmontables ?


Je[2] viens, mon cher ami, de chez M. Turpin[3]. J’ai retiré de chez lui les papiers qui regardent M. Addington[4], parce qu’il ne peut rien faire sans la procuration de celui-ci. Si vous écrivez à Londres, il faudrait la demander. L’ordre qui est derrière l’effet est bâtonné ; on ne peut y en substituer un autre.

Je viens de faire imprimer quelque chose sur la liberté de la presse[5]. Je me propose de vous en envoyer mille exemplaires, dont je vous prierai de faire faire la distribution dans votre département, le mien et ceux des environs, par votre Société des Amis de la Constitution.

Nous n’avons point pu réussir à ravoir vos lettres sur les pétitions. Au reste, dans ce

  1. Les mots entre crochets sont biffés dans l’original, mais restent lisibles.
  2. Ce qui suit est de Lanthenas.
  3. Turpin (Gérard-Maurice), agent des créances du Trésor public, rue Royale, butte Saint-Roch, n° 18 (Almanach royal de 1792, p. 679, et Tuetey, III, 447, 1906, 2254).
  4. Une pièce de la collection Picot nous apprend qu’Addington était un des Anglais de la société que Bancal avait fréquentée à Londres, et pour lequel il s’était chargé de faire nous ne savons quels recouvrements à Paris.
  5. « De la liberté indéfinie de la presse et de l’importance de ne soumettre la communication des pensées qu’à l’opinion publique, par F. Lanthenas, docteur médecin, citoyen français », 17 juin 1791, 37 pages in-8o (avec un post-scriptum du 23 juin) ; à l’imprimerie du Cercle social ; Visse et Desenne, libraires.