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pourtant dans le complot quelque tentative de massacre dans Paris. Je ne m’appesantis pas sur des détails que les papiers publics vous donneront assez ; ils vont être tous remplis de l’ordre admirable qui règne ici et de la sagesse de l’Assemblée. Vous y verrez le sot manifeste du Roi, manifeste après lequel il est encore plus sot d’appeler sa fuite un enlèvement, comme a fait Bailly.

Le roi de Suède est à Bruxelles ; Louis XVI s’y rend, et tous les despotes vont s’unir comme vous pouvez croire. Nous étions inondés de croix de Saint-Louis, de ci-devant gardes du Roi : tout cela est disparu ; mais il nous reste beaucoup de malfaiteurs, et les ouvriers des ateliers de charité ont été licenciés il y a peu de jours.

Adieu, notre bon et digne ami, unissons-nous toujours davantage ; il faut voir tout le mal pour tout prévenir sans jamais désespérer ; il faut mourir sur la brèche avant d’abandonner la partie.


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À MONSIEUR HENRY BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[1].
23 juin 1791, — de Paris.

Qui pourrait suffire à exprimer, à peindre les affections, les mouvements qui nous agitent ! Hier, à cinq heures du soir, réunis avec Robespierre et plusieurs autres[2], nous nous considérions sous le couteau ; il n’était question que de porter le peuple à de grandes mesures dont l’Assemblée est incapable, et chacun ne songeait qu’à la manière de se rendre plus utile au salut public, avant de perdre la vie qu’un massacre imprévu pouvait nous ôter d’un moment à l’autre.

Ainsi que je vous l’avais marqué, l’esprit général était excellent ; mais il y avait dans l’Assemblée une condition redoutable ; il était évident qu’elle n’était pas concentrée dans son sein ; on se voyait environné de pièges, et, tout en s’occupant à profiter des circonstances pour les succès de la liberté, ses plus ardents amis s’attendaient à y périr.

  1. Lettres à Bancal, p. 245 ; — ms. 9534, fol. 129-130.
  2. Probablement chez Petion. Cf. Mém., I, 60. — Le nom de Robespierre a été biffé sur l’autographe, probablement par Bancal, mais reste cependant lisible et a d’ailleurs été rétabli au bas de la page de la main de Henriette Bancal.