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plans de philanthropie qu’il sentira aussi bien qu’aucun philosophe et qu’il appuiera mieux. Vous ferez pourtant bien de profiter de la bonne volonté que vous rencontrez dans les personnes que vous voyez. Il est bon que la Société des Amis[1] connaisse où nous en sommes et ce qu’on peut plus que jamais espérer et faire pour le bonheur des hommes, qu’ils ont, plus qu’aucune secte au monde, constamment recherché. Le peu d’amis sincères de la liberté, ceux au moins qui en soutiennent les principes purs, continuent de livrer ici, chaque jour, un combat inégal contre ceux qui haïssent la liberté ou veulent, par des sentiments inconcevables de modération, s’écarter des principes qui peuvent seuls nous l’assurer. Nous vous avons parlé d’une réunion dont nous concevions quelque espérance et à laquelle nous concourions. Elle reste bornée à si peu d’individus, qu’elle a très peu d’influence ; cependant ceux qui se sont aperçus de la faible résistance qu’elle oppose quelquefois au torrent des opinions qui conduisent maintenant la majorité de l’Assemblée, ou plutôt qui l’ont connue par les indiscrétions de ses membres, la croient, en nombre, bien plus redoutable. Ils pensent qu’il y a une confédération puissante pour la république, qu’elle s’étend dans le royaume, et ils y attachent des chaînons qui n’en dépendent sûrement pas.

Si nous avions ici l’esprit public qui fait trouver si facilement, en Angleterre, des fonds, pour pousser ce qui est utile et grand, nous pourrions effectivement, je pense, réaliser les craintes de ceux qui nous redoutent. Mais imaginez que nous n’avons pas le moindre sol pour faire imprimer. Lafayette a longtemps entretenu Brissot d’espérances de lui en donner. Mais nous avons reconnu qu’il caressait et entretenait notre ami, comme Mirabeau faisait pour Desmoulins, afin d’arrêter sa plume, en tenant en suspens ses sentiments[2].

Mon travail sur les Sociétés populaires[3] est, en attendant, là. — Nous aurions voulu le faire tirer à un très grand nombre d’exemplaires, et nous n’avons encore rien arrêté. Je viens de m’occuper de la liberté indéfinie de la presse[4] ; le Département de Paris sollicite sur elle des lois, et ses amis ont de nouvelles craintes de la voir anéantir. Mille saluts et encouragements à Clarkson[5] et aux autres Amis de la vérité, de la fraternité entre les hommes. Vale.

  1. Les quakers d’Angleterre.
  2. Lanthenas écrivait déjà à Bancal, en avril, en lui exposant ses plans de propagande (ms. 9534, fol. 250-251) : « Brissot va, ce matin, chez M. Lafayette pour éprouver ses intentions. Il a offert plusieurs fois de l’argent pour quelque entreprise qui tendit à garantir la Constitution contre les dangers qui de tous côtés la menacent. Si nous pouvons le déterminer pour ce projet des sociétés populaires, etc… »
  3. C’était un manuscrit considérable que Lanthenas avait rédigé à Lyon à la fin de 1790 et au commencement de 1791 ; on verra plus loin que Robespierre, à qui il l’avait communiqué, le lui perdit dans un fiacre. Il en publia depuis un résumé dans la Chronique du mois, en février 1792, et un tirage à part en avril suivant.
  4. Voir Patriote français du 4 mai : « Réflexions sur l’adresse du Directoire du département de Paris, du 26 avril, concernant le code pénal, la liberté de la presse et en général sur les droits et la nécessité des mouvements du peupls. » L’article paraît bien être de Lanthenas. — Cf. lettre suivante, du 22 mai.
  5. Thomas Clarkson (1760-1846), pasteur et publiciste anglais, un des hommes qui ont le plus contribué, avec Wilberforce,