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aurait que des mendiants qui ne seraient pas citoyens actifs[1], comment quelqu’un n’a-t-il pas observé que dans toutes les villes de grandes fabriques il y a un nombre considérable d’ouvriers qui, par l’effet des crises auxquelles sont exposés tous les objets de concurrence et de manufacture de leur industrie, se trouvent momentanément hors d’état de supporter aucune imposition, et même réduits aux secours passagers de l’assistance publique ? C’est ainsi qu’à Lyon, dans l’hiver de 1789, plus de vingt-cinq mille âmes furent livrées à la misère. Ces ouvriers sont cependant d’utiles et de braves citoyens, d’honnêtes pères de famille, très attachés à la Constitution, très ardents à son maintien ; et ils n’auront pas le droit d’être armés par elle ! Et l’autorité arbitraire des municipalités pourra les rejeter ! Car on a aussi, à Lyon, l’exemple d’une précédente municipalité qui, sous prétexte que tels et tels n’étaient pas, pour 89, sur les rôles des contributions, n’a pas voulu les y admettre lorsqu’ils ont sollicité d’y être afin de partager les droits des citoyens actifs.

J’avais écrit ces observations à la barre, où j’étais ; je n’ai jamais osé les envoyer à personne, parce que j’ai craint de compromettre celui à qui on m’aurait vue les adresser.

Adieu ; battons aux champs ou en retraite : il n’y a plus de milieu[2].

  1. La discussion qui avait irrité Madame Roland était celle de l’organisation de la garde nationale. L’article 1er, voté dans cette séance du 28, n’admettait dans la garde nationale que les citoyens actifs, conformément à l’avis de Dubois-Crancé.
  2. Voici le texte publié par le Patriote français du 30 avril :
    fragment d’une lettre
    sur la séance de jeudi matin.

    J’ai vu aujourd’hui cette Assemblée qu’on ne saurait appeler nationale. La raison, la vérité, la justice y sont étouffées, honnies. Quand on a suivi la marche qu’elle a tenue ce matin, quand on a entendu les propos que les Noirs osaient y tenir, quand on a vu le jeu des vils intérêts des passions qui l’on guidée, il ne reste plus qu’à s’envelopper la tête, ou à percer le sein de ses ennemis.

    Il me semble évident que, pour toute personne qui a des idées justes de la liberté et le sentiment vif de ce qu’elle inspire, il me semble démontré que l’Assemblée ne saurait plus rien faire qui ne soit funeste à cette liberté. Elle fortifiera le pouvoir exécutif, elle décrétera la rééligibilité, elle fera des lois pour limiter la liberté de la presse, elle évitera une Convention, ou elle étouffera tellement l’esprit public avant qu’elle puisse avoir lieu, que la Convention fera pis qu’elle encore. Comment les Noirs même ne conçoivent-ils pas que si notre Constitution ne se perfectionne, l’empire se démembrera nécessairement ? Mais non, ils espèrent que nous retomberons sous le joug du despotisme, et j’ai peur qu’ils n’ai raison. Que faire, dans un pareil état de choses ? S’ensevelir dans la retraite ou se dévouer comme Décius ? Car que peuvent cinq à six hommes de bien contre une légion de mauvais esprits ? Il faudrait des voix de stentor et le génie d’un dieu. Des moyens humains n’ont pas de prise sur une foule audacieuse et corrompue. N’existe-t-il donc pas, dans l’Assemblée une trentaine