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[À BANCAL, À PARIS#1.]
Le 28 octobre 1790, — [du Clos].

Il faut bien, mon ami, que je fasse avec vous une petite causerie a parte, car il n’arrive plus souvent que je sois chargée de vous répondre. Cependant deux de mes épîtres vous ont été adressées à Clermont, d’où elles vous parviendront sans doute avec le temps. Je présumais qu’il était survenu quelque chose dans votre marche, ou que vous en aviez pris une nouvelle ; j’avais compté huit grands jours sans rien recevoir de vous, et je n’ai pas même imaginé de chercher que cela pût être naturel autrement.

Vous voilà donc à cent lieues de nous ! Mais il est telle séparation à laquelle la distance ajoute peu ; quand l’une est absolue, l’autre est presque nulle. Pour des amis qui ne peuvent se parler, qu’importe quelques points de l’espace ? Il n’y a d’étendue que là où ils se retrouvent.

Les grands intérêts de la chose publique offrent à votre activité d’excellents aliments et de dignes sujets. Il est grandement besoin, ce me semble, que les patriotes entretiennent le feu sacré ; les ministres luttent toujours contre la Révolution, l’Assemblée n’ordonne point les finances ; on ne voit pas de comptes, les dépenses courent, le peuple demeure chargé, et il n’est point assez éclairé pour juger tout ce dont il faut payer la liberté ; l’aristocratie voudrait le dépiter et perpétue, pour y parvenir, les désordres du trésor public. Je ne suis pas en peine de tout ce que le civisme pourra vous inspirer pour électriser les âmes, propager la saine doctrine, former l’opinion générale et déterminer par elle tout ce que sollicitent le bien de nos frères et le salut de la patrie ; j’aime à vous voir au lieu où vous pouvez le plus utilement influer.

Votre voyage d’Angleterre ne me paraît plus assuré, car, s’il y avait quelque apparence de guerre, ce ne serait pas le cas de vous déplacer, pour double raison : nos législateurs auraient alors plus de besoin que jamais que les bons citoyens se ralliassent autour d’eux, et les passages ne seraient point aussi libres ou pourraient bientôt cesser de le devenir. Puisse le ciel détourner de nous ces querelles étrangères, invoquées par les ennemis de la Constitution, dans l’es-[1]

  1. Lettres à Bancal, p. 107 ; — ms. 9534, fol. 58-59. — En marge : « Rép. le 5 novembre »