Page:Roland à Roncevaux.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voit qui ne s’épouvante. Plusieurs disent : "C’est la consommation des temps, la fin du monde que voici venue". Ils ne savent pas, ils ne disent pas vrai : c’est la grande douleur pour la mort de Roland. »

Mais eux, les combattants, qui ne voient pas ces présages, en seraient-ils encore à espérer leur salut ? Il n’en est rien. Olivier désormais s’enferme dans un mutisme hautain. Turpin, pour la seconde fois, harangue les chevaliers : mais c’est pour leur annoncer (v. 1520) que pas un d’eux ne survivra. Il n’est plus question pour eux de vaincre, mais seulement de bien mourir. Et Roland ? Lui qui peut encore sauver les restes de cette noble troupe, est-il entendu qu’il ne veut pas ? Serait-il seul à ne pas voir ? Non : lui aussi, il voit, il sait. Cherchez, en effet, dans le récit de cette seconde bataille, son propos favori de naguère, qu’il était sûr de vaincre, vous le chercherez en vain. Pourtant, il parle plusieurs fois dans la mêlée, et c’est pour rappeler les mêmes arguments qu’il employait tout à l’heure.

1466« Male chançun n’en deit estre cantee… »
1560« Pur itels colps nos ad Charles plus cher. »

Il les répète tous, hormis le seul qui, au début, les justifiait, la promesse de la victoire.

C’en est donc fait. Il a descendu la pente terrible. De sa foi en son invincibilité, de la surestime de soi-même, il a passé peu à peu à l’inquiétude, à l’angoisse ; à son tour, il voit la défaite certaine : et c’est quand le roi Marsile lance une troisième armée pour achever ceux que Dieu a épargnés. À cet instant, quand s’engage la troisième bataille, combien sont-ils qui survivent ? Soixante seulement. Roland, nous le savons, n’a plus qu’à les regarder mourir, comme il a regardé les autres. Par insensibilité ? par démence ? On ne sait. Pourtant comme nous n’avons plus rien à espérer,