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NOËMI

épars sur le terrain, avaient l’œil sur ceux qui se rendaient au travail. Ceux-là étaient vêtus proprement et mieux entretenus que les autres ; ils portaient en se rendant au jardin des casaques d’étoffe bariolée. Quelques cases rares en maçonnerie frappaient l’œil de temps en temps ; mais presque toutes, formées d’un cours irrégulier de chevrons, ne s’élevaient guère qu’à la hauteur d’un rez-de-chaussée, long de vingt à vingt-cinq pieds environ. De simples cloisons de roseaux les partageaient en deux ou trois petites chambres obscures qui ne recevaient le jour que par la porte d’entrée. Les plus belles s’enorgueillissaient pourtant d’une petite fenêtre par laquelle de vieilles femmes allongeaient alors le cou, dans leur impatience de voir leur nouvelle maîtresse. Plus recherchés que les nègres créoles dans leur parure, les mulâtres avaient tenu à honneur, pour ce jour-là, de se vêtir de la veste, du pantalon de toile fine, des mouchoirs de tête et de cou les plus galans. La plupart étaient jeunes, et leur menton sans barbe leur conservait toute la fraîcheur de l’âge ; mais le blanc des yeux, jaunissant chez d’autres, décelait leur vieillesse et leur vanité ridicule. Escortée de Mlle Finette, qui accordait de temps à autre à ses compatriotes un salut de grave protection, la marquise parut d’abord frappée du luxe déployé autour d’elle par certaines mulâtresses ; les plus riches étoiles de l’Inde ornaient les épaules brunes de ces femmes. À cette époque, en effet, le rang que les mulâtresses tenaient dans la colonie était tel que ces filles, une fois maîtresses d’un créole, pouvaient changer d’ajustemens et de toilette