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Le Vingtième Siècle

ému, il allait se trouver réellement en présence d’Estelle. Qu’allait-elle dire ? Il lui venait des craintes ; si, par malheur, elle n’avait pas le cœur libre, si elle allait le repousser !

Il fut bientôt rassuré. L’accueil de Mme Lacombe lui montra que tout allait bien, et lorsque enfin Estelle parut toute confuse et pâle d’émotion, une douce pression de main fut la réponse à la question muette que posaient les yeux inquiets du jeune homme.

Il passa une soirée charmante au chalet Lacombe, et, quand il remonta en aérocab, vers onze heures, pour regagner le tube d’Interlaken, les larges rayons de lumière électrique du phare éclairant fantastiquement les montagnes, perçant l’obscurité des vallées et faisant étinceler comme des escarboucles les énormes pics, et luire les glaciers ainsi que des coulées de diamants, lui semblaient, comme des promesses d’avenir lumineux, éclairer devant lui une longue existence de bonheur.

Bien entendu, Philox Lorris bondit de colère et d’étonnement, lorsque, le lendemain matin, son fils lui fit part de sa détermination en sollicitant son consentement. Philox eut un violent accès d’éloquence rageuse. Eh quoi ! son fils n’attendait pas qu’il lui eût découvert la doctoresse en toutes sciences, la femme scientifique, la fiancée sérieuse et mûre qu’il lui avait promise ! Eh quoi ! il allait déranger tous ses plans, ruiner toutes ses espérances avec ce sot mariage…

« La sélection ! la sélection ! Tu méconnais la grande loi de la sélection… Ce n’est pourtant pas d’aujourd’hui que la science a donné raison aux vieilles idées d’autrefois et reconnu que la sélection était la base de toutes les aristocraties… En notre temps de démocratie à outrance, on a tout de même été forcé d’en rabattre et de s’incliner devant la force de la vérité… Mon garçon, les anciennes aristocraties avaient raison de se montrer hostiles à la mésalliance !

« Il a bien fallu le reconnaître, oui, de toute évidence, les races de rudes soldats et de fiers chevaliers des âges révolus, en s’entre-croisant et s’alliant toujours entre elles, fortifiaient les hautes qualités de vaillance qui les distinguaient et légitimaient leur belle fierté, et aussi ces prétentions qu’on leur reproche à la domination sur des sangs moins purs.

« Oui, la décadence a commencé, pour ces vieilles races, le jour où le sang des fiers barons s’est mélangé avec le sang des enrichis, et ce sont les mésalliances réitérées qui ont tué la noblesse ! Démonstration scientifique très facile : Prenons un descendant de Roland le paladin, fils de