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Le Vingtième Siècle

de Philox Lorris, tous gens de science, d’affaires ou de politique, ne pénétrait jamais. Mme Philox Lorris était si occupée, pensait-on, toujours perdue dans les plus profondes méditations philosophiques, tournant et retournant pour son grand ouvrage les plus nébuleux problèmes de la métaphysique.

La fiancée de Georges Lorris, ayant gagné complètement la confiance et l’amitié de sa future belle-mère, fut pourtant à la fin mise dans la confidence de ces travaux, dont la seule idée la faisait trembler presque autant que les vastes conceptions scientifiques de Philox Lorris. Un jour, Mme Lorris l’introduisit mystérieusement dans une petite pièce que Philox Lorris appelait le cabinet d’études de Madame.

C’était un petit salon fort gai, rempli de fleurs, suspendu comme une cage vitrée sur l’angle de l’hôtel, avec vues sur le parc et sur l’immense déroulement des toits et des monuments de la grande ville.

« Voyez si j’ai confiance en vous, ma chère Estelle, dit Mme Lorris ; je vais tout vous dire, il me semble que vous n’êtes pas trop ingénieure pour me comprendre.

— Hélas ! je le suis si peu, madame, à mon grand regret et malgré mes efforts ! M. Philox Lorris me le reproche toujours…

— Tant mieux ! tant mieux ! Je puis vous révéler mon grand secret… Je m’enferme ici pour…

— Je sais, madame, pour méditer et écrire votre grand ouvrage philosophique, dont M. Lorris donnait l’autre jour devant moi des nouvelles à quelques membres de l’Institut…

— Vraiment ! il en parlait ?

— Oui, madame…

Il paraît que votre travail avance… du moins c’est ce que disait M. Lorris…

— Mon grand ouvrage philosophique, le voici ! » dit Mme Lorris en riant.

Et elle montrait à Estelle stupéfaite une petite tapisserie en train et diverses broderies jetées parmi des journaux de modes sur une coquette table à ouvrage.

« Oui, je m’enferme ici pour travailler à ces petites inutilités, je me cache soigneusement de mes amies bourrées de sciences, ingénieures, doctoresses, femmes politiques ! C’est ma frivolité qui s’obstine à lutter et à protester contre notre siècle scientifique et polytechnique, contre mon tyrannique mari et ses tyranniques théories… Nous serons deux, si vous voulez ?