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Le Vingtième Siècle

terrible Mme des Marettes… C’est toujours la même, toujours la figure blonde inoubliable qui hante depuis si longtemps les rêves et les cauchemars de M. Arsène des Marettes.

Mêlant ainsi ses petits souvenirs personnels, toujours cuisants, aux réminiscences historiques, M. Arsène des Marettes voit défiler, pour ainsi dire, tous les chapitres de son œuvre maintenant si avancée, la partie historique et la partie philosophique, où, de déduction en déduction, de constatation en constatation, avec sa pénétrante analyse, il nous montre ce phénomène psychologique qui a déjà préoccupé les penseurs : la femme restant toujours la femme, toujours identique à elle-même, toujours pareille, en tous lieux et en tous temps, à tous les âges et sous tous les climats, alors que l’homme présente tant de variétés de caractère, suivant les races, les époques et les milieux.

Et M. des Marettes est satisfait, et il est heureux, et il songe à l’effet que la grande Histoire des désagréments causés à l’homme va produire, aux bienfaits qui en découleront, aux idées de révoltes masculines qu’elle va réveiller.

Tout à coup, la sonnerie du Télé, cet éternel drinn-drinn que nous entendons retentir à toute minute, qui ne nous laisse aucun repos, qui toujours nous rappelle que nous faisons partie d’une vaste machine électrique traversée par des millions de fils, la sonnerie du Télé tira M. des Marettes de sa rêverie historico-philosophique.

Il sursauta sur son fauteuil, allongea le bras et, machinalement, appuya sur le bouton du récepteur.

« Allô ! allô ! dit une voix, M. le député Arsène des Marettes est-il à la soirée de M. Philox Lorris ? Il est prié de venir à l’appareil… »

C’était justement lui qu’on demandait. Le grand historien se réveilla tout à fait et répondit immédiatement :

« Allô ! allô ! me voici ! Qui me demande ? »

La plaque du Télé s’éclaira subitement et, après quelques secondes d’un balancement papillotant, une image se forma. C’était une dame assise dans le cabinet de travail de M. des Marettes, là-bas, en son austère retraite, sur les hauteurs du quartier de Montmorency (xxxiie arrondissement), une dame d’un certain âge, assez forte, aux traits accentués, aux sourcils très fournis dessinant un arc noir au-dessus d’un nez à courbure aquiline.

M. Arsène des Marettes se laissa retomber comme pétrifié dans son