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32 LA POÉTIQUE DE RACINE. et au goût de notre langue, que non pas en nous obligeant de suivre pas à pas et leur intention et leur élocution, comme ont lait quelques-uns des nôtres. C’est en cet endroit qu’il faut que le jugement opère comme partout ailleurs, choisissant des anciens ce qui se peut accommoder à notre temps et à l’humeur de notre nation, sans toutefois blâmer des ouvrages sur lesquels des siècles ont passé avec une approbation publique ». Ce sont là des principes qui, bien compris et bien appliqués, eussent pu être très féconds : il ne s’agit pas de suivre à l’aveugle les anciens. « Il faut examiner et considérer leurs méthodes mêmes par les circonstances du temps, du lieu et des personnes pour qui elles ont été composées, y ajoutant et diminuant pour les accommoder à notre usage, ce qu’Aristote eût avoué : car ce philosophe qui veut que la suprême raison soit obéie partout et qui n’accorde rien à l’opinion populaire, ne laisse pas de con- fesser en cet endroit que les poètes doivent donner quelque chose à la commodité des comédiens pour faciliter leur action et céder beaucoup à l’imbécillité et à l’humeur des spectateurs. Certes il en eût accordé bien davantage à l’inclination et au jugement de toute une nation. » C’était tourner avec habileté contre ses adversaires l’autorité même d’Aristote. Or comment convient-il de se représenter le peuple français? comme « un peuple impatient et amateur de changement et de nouveauté ». « Il (Aristote) se fût bien gardé de nous ennuyer par ces narrés si fréquents et si importants des messagers, ni de faire réciter près de cent cinquante vers tout d’une tire à un chœur. » Mais les anciens avaient plusieurs raisons pour « n’oser se départir du chemin que leurs devanciers leur avaient tracé ». La première est « que leurs tragédies faisaient une partie de l’office des dieux et des cérémonies de la religion, en laquelle les nou- veautés étant toujours odieuses et les changements difficiles à goûter, s’ils ne se font d’eux-mêmes et insensiblement, il est arrivé que les poètes n’ont osé rien entreprendre qui ne fût con- forme à la pratique ordinaire. « La seconde raison qui fait que les anciennes tragédies ont presque une même face et sont toutes pleines de chœurs et de