Page:Rivière - Fragment d’album inédit de Desbordes-Valmore, 1910.pdf/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 21 —

tient à notre pauvre maison qui n’a de valeur qu’un vieux platane et un jeune acacia mêlant leurs branches à ma fenêtre sans rideau, au fond d’une cour humide, dans la longue rue appelée Il Borgo de la Porta Romana. Je sais de loin que les feux d’artifice se succèdent hors Milan, partout où s’arrête le Roi qui vient à petits pas se faire couronner.

Le camp militaire, élevé comme par miracle en si peu d’instants à moins d’un quart de lieue de la ville, est rempli de curieux, de musiques, de bals, de jeux, ce qui fait que jusqu’à cette heure les cinq théâtres, ouverts à Milan pour cette époque qui devait les enrichir, sont encore déserts, à l’exception de celui où Mlle Mars vient d’attirer la noblesse, et pour laquelle les places ont été augmentées des deux tiers. Le Dôme, la merveille achevée par Napoléon, dont le nom est ici dans toutes les bouches et sur tous les monuments, cette basilique érigée en statues de marbre blanc (on en compte cinq mille), et qui vaut à elle seule le voyage du curieux, est en ce moment déguisée à moitié en échafaudages pour les illuminations, et, ainsi que les principales églises de Milan, toute tendue de damas rouge à franges d’or. Les tableaux et l’architecture ainsi voilés feront pleurer les amants de l’Art qui ne font que passer pour admirer ces merveilles.

Ce que l’on cite jusqu’ici de plus extraordinaire dans les somptuosités du couronnement, c’est l’illumination du lac de Côme, au pied du Simplon, que l’Empereur a descendu de nuit. Ce lac immense, couvert de barques innombrables et de hauts bâtiments pavoisés, visibles par les ballons de couleurs éclatantes, pleins de lumières, les montagnes jusqu’à leurs prodigieux sommets tout éclatantes de feux brûlant durant la nuit, de transparents et de temples incrustés dans les flancs, des rochers lucides comme en plein jour, tout cela formait un spectacle magique et Mlle Mars en était ivre encore en me le racontant. Comme ce spectacle était horriblement cher à regarder, je ne l’ai vu, ainsi que mes enfants, que par les beaux yeux de Mlle Mars. Je vous dirai plus tard, Monsieur, comment elle sera sortie du mauvais pas où je ne me console pas de la voir. Hier, à ce théâtre qu’elle a forcément quitté, mais où les Français artistes ont conservé droit de présence par un bon procédé du directeur italien, nous avons vu [l’une] des plus tristes choses de ce monde (pour moi, du moins), Marie-Louise, plus âgée