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nous prîmes au hasard un large escalier qui nous offrit de la ressemblance avec celui des Tuileries où mène la rue de Castiglione. Celui de Milan nous fit monter sur le large boulevard intérieur, bordé de si beaux arbres, et découvrant au loin les montagnes du Simplon. Ce haut boulevard ou rempart, qui circule autour de Milan qu’il renferme, est bordé de jardins et d’une riche verdure par delà lesquels se répète, aussi large et aussi peuplé d’arbres d’une hauteur prodigieuse et sur deux rangs, le boulevard d’en-haut. Nous le parcourûmes à moitié, toujours poursuivis du Dôme, noyé dans les feux du soleil couchant, et nous redescendîmes à la porte de Rome, où commence la longue et large rue dans laquelle nous demeurons. Nous ne pouvions marcher de lassitude, et Valmore, pressé de se rendre à la répétition pour Mlle Mars, nous laissa chercher, seules, du lait dans quelque maison du faubourg au pied du rempart. On nous indiqua près d’une église, et nous passâmes au milieu d’une foule de moissonneurs, qui revenaient des champs, portant sur leur tête des herbages et de grands paniers. L’une des femmes, courbée sous son fardeau, blonde et demi-nue, couverte de poussière et dont les yeux bleu clair brillaient étranges au milieu de son teint gris, et sous son chapeau rond de la même teinte, me saisit par sa ressemblance frappante avec Mme Dorval, que j’ai vue presque ainsi dans la Muette de Portici, où elle était si triste et si vraie. L’église où nous descendions était si pleine de monde pour la bénédiction qu’il nous fut impossible d’y pénétrer, quand la foule s’ouvrit tout à coup et laissa passer trois prêtres avec des flambeaux. Cette foule, qui les suivait, nous les [fit] bientôt perdre de vue, et nous entrâmes dans une petite maison basse attenante à St […] où la vieille marchande de lait, tête nue et blanche comme sa quenouille, nous délassa par son bon lait et son bon accueil.

En sortant de ce petit réduit pour aller nous coucher, nous retrouvâmes par groupes la foule de l’église, le long de la rue que nous descendions, et ces groupes s’éloignaient, puis se rapprochaient d’une grande porte fermée, mais assez mal jointe pour laisser ruisseler par ses fentes les flots de lumière, qui attiraient tant de curiosités. Je me hasardai d’interroger une belle jeune Italienne qui me répondit : una sposa, d’où je conclus que c’était un mariage. Tout à coup la porte s’ouvrit avec