Page:Rivière - Fragment d’album inédit de Desbordes-Valmore, 1910.pdf/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 15 —

riaient, vêtues comme pour une fête, et couvertes de voiles éclatants de blancheur, de perles et de rubans blancs. C’était ce jour-là une mère riche qui pleurait. Nous priâmes aussi pour cette douleur toujours pareille au cœur des mères.

Hier, 22 août, Valmore nous a fait respirer l’air et commencer comme toujours notre promenade par une église, celle de la Passion, que l’on aperçoit du rivage, et dont la façade, ornée de statues d’un caractère grave et de bas-reliefs en marbre, est d’une profondeur, qui manque en général à celles que j’ai trouvées d’ailleurs si belles. Les orgues, placées à droite et à gauche du chœur, sont d’une forme tout à fait exceptionnelle, d’une grandeur prodigieuse et de la plus élégante singularité. Le maître autel en marbre est superbe. Le chœur entièrement caché renferme, comme l’église, des tableaux rares. Ce qui frappe le plus dans cette église sévère et mystérieuse, c’est, sous la voûte sombre qui mène à la sacristie et aux cloîtres, un double tombeau de marbre blanc soutenu par d’énormes jambes de lion. La structure et le travail de ces deux tombes jumelles l’une sur l’autre causent un recueillement plein d’une triste admiration. Nous ne pouvions sortir. Les bas-reliefs de la façade étaient, quand nous y sommes entrés, cachés par des tentures mortuaires et le large cadre où se lisait, au milieu des symboles, cette brève oraison qui demande l’attention et la prière des passants. Tandis que les ouvriers, montés sur les corniches et le piédestal des hautes statues, détachaient les draps noirs bordés de galons jaunes qui ruisselaient sur le parvis, les élèves du Conservatoire de musique, qui semble faire partie de l’église, poussaient leurs cris charmants, d’autres jouaient du violon et du piano, et le soleil colorait en se couchant tous les anges du frontispice, tenant chacun un des instruments de la Passion, représenté en bronze, et ces beaux anges tristes semblaient prêts à s’envoler au-dessus du supplice de Jésus-Christ et de sa mère, sur lesquels ils pleurent. Ne savoir pas dessiner est un supplice continuel devant ces scènes que l’on voudrait faire comprendre à ceux qui ne peuvent les voir, et ne pas trouver un mot pour rendre l’impression qu’ils produisent en nous est une autre souffrance qui éclaire trop tard et tristement sur l’ignorance profonde dont on ne s’était jamais tant aperçu.

Nous revînmes tout silencieux le long des rues désertes, et