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errante, en allant à la poste et partout, que mon âme s’appuie sur l’étrange situation où je passe avec ma famille. C’est là que j’use surtout de la liberté mélancolique d’errer, de parler, de pleurer, le long de ces rues désertes, de ces maisons inconnues, de ces églises hospitalières où je me précipite comme si j’entrais par une porte dérobée dans la maison de mon père. Là, je suis bien sûre que l’on m’entend. Se mettre à genoux, signer son front et rester tristement sur quelque marbre d’où personne n’a le droit de vous éloigner, c’est une grande douceur que je partage avec toi, car ton cœur est dans le mien.

Si tu voyais l’église du San Sepolcro, tu ne l’oublierais jamais. La scène où Jésus lave les pieds de ses apôtres, représentée dans l’enfoncement d’un autel en demi-cercle, comme une vraie chambre où ces douze figures, sculptées en bois, grandeur naturelle, font un effet si saisissant que l’on croit les voir bouger. La chapelle en regard de celle-ci représente le moment où Jésus vient d’être jugé. Je comprends la puissance de ces représentations dont l’Art sourit. Ce qui est resté le plus profondément gravé dans ma mémoire, n’est-ce pas le Bon Dieu flagellé, tombé dans l’herbe, derrière l’église déserte, où j’avais reçu le baptême six ans auparavant, et dans la cour d’un couvent des Récollets, où nous allions jouer à la cachette, une Notre-Dame des Sept-Douleurs dont la statue en bois, laissée sous un grillage, me paraissait tant souffrir que j’y restais des heures entières en contemplation, et que j’ai retenu ce que je croyais être sa pleine dolor.

Ici, dans presque toutes les églises, la gravité est rompue par un décor familier. Les fenêtres, qui y versent l’air, sont des fenêtres d’appartement, avec des rideaux de mousseline à franges ou garnitures pareilles, comme dans toutes nos maisons bourgeoises. Elles sont si peu élevées que vous voyez les maisons de la rue, les balcons, les habitants rire, causer, travailler et chanter, ce qui est choquant pour nous qui trouvons un retirement si profond dans nos églises pleurantes.

Le 15 août.

L’avisatore nous a réveillés, ce matin, par la nouvelle de l’arrivée de Mlle Mars. Je m’étais rendormie vers six heures, lasse d’y avoir rêvé avec mille inquiétudes, pensant que ses