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tendue à la cathédrale de Turin, qui me fit pleurer dans mon cœur !

À Milan, toutes les musiques que j’entends, le soir, dans les écoles, dans les églises, jusque dans le son des cloches, rien n’est rêveur, rien n’est douloureux ; tout a le caractère de la cantate et de l’air de bravoure, et ce n’est pas la gaîté de mon cœur qui me fait ressentir et juger ainsi leur musique. Il faut que ce soit deux fois pour que je n’y trouve pas à cette musique que j’adore quelque conformité avec mes tristes étonnements. — Les voix du peuple, si touchantes dans le Béarn, si solennelles en Allemagne, sont ici presque aussi communes et aussi criardes qu’à Lyon ; le pays des voix fausses et grossières — à quelques belles exceptions près. Pour moi, je ne te souhaite ici que pour aller avec toi au Dôme, pour tourner avec toi autour des remparts de la ville et de ce dôme retrouvé partout comme le plus beau des fantômes. Madame Alise était venue l’autre soir me chercher avec son enfant et les miens pour prendre l’air des remparts.

Je commence à toute heure quelque note pour toi, et je suis enlevée à cette consolation par mille soins qui ne me laissent pas respirer. À Paris, c’était le coup de la sonnette qui me faisait bondir de minute en minute, pour les visites souvent si vides et si accablantes, auxquelles je ne pouvais me soustraire par le scrupule de ma servante, qui ne voulait pas mentir et perdre son âme en disant que je n’y étais pas. Cette honnête Auvergnate m’a fait faire trois maladies, en m’apportant jusque dans ma chambre à coucher tous les oisifs inconnus et voyageant qui voulaient voir l’Odéon, en passant à Paris.

Ici, je suis au fond d’un faubourg, à la porte de Rome. Pas une âme ne m’y cherche. Le bruit des cloches, le chant d’un coq, les coups de feu que l’on tire dans les drames au théâtre, dont les foyers donnent par de petites fenêtres sur le jardinet où s’ouvre mon unique croisée, voilà tout ce qui accompagne les battements toujours pressés de mon cœur qui t’aime partout, et je ne peux souvent que penser à toi, sans t’écrire. Nous n’avons personne pour nous aider au ménage, et mes jours s’absorbent dans ce travail, dont l’habitude me coûte à reprendre, par l’extrême chaleur et la privation des ustensiles. C’est surtout dans les rues, où je suis souvent