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trer dans les premiers mystères du christianisme. Les cloîtres qui entourent l’église, les murs nus, les cours pleines d’herbes sauvages, les peintures à fresque demeurées visibles à peine, les portes gothiques et massives, tout atteste les altérations qu’a subies ailleurs la Religion dans son unité primitive. Je me croyais sous terre comme sous les quatorze siècles qui ont enfoncé cette église dans le temps, et qui s’y soutient inébranlable. On atteste qu’un serpent d’airain, élevé sur une haute colonne de marbre, y chanta le jour de la naissance de S. Ambrosio. Cette prédiction fut faite par […]. Deux portes d’airain présentent tout ce que le travail des hommes peut offrir de plus admirable, l’art, la patience, l’ardent amour divin s’y révèlent dans chaque groupe ciselé avec une délicatesse merveilleuse. On n’est rien devant de pareilles choses. Leurs possesseurs en comprennent si bien le prix qu’ils défendent[1] ces miracles de l’art par un double treillage fermé à double serrure. Cette serrure est une tête de lion, et c’est dans sa bouche qu’entre la clé.

On pénètre dans cette église par plusieurs entrées. La curiosité me fit sortir seule sur une rue déserte, toute pleine d’herbes incultes, d’orties. Deux jeunes filles couvertes de leurs voiles noirs s’avançaient en parlant bas. Elles passaient et repassaient alors devant une peinture à fresque qui représente la Mort en capuchon, et enveloppée d’une longue robe de moine ballante sur ses os. Un orgue des rues jouait à ce moment un air mélancolique, et je ne me croyais plus trop de cette vie, quand on me rappela de l’intérieur de l’église où il n’y avait qu’un homme du peuple malade et en prières. Nous tournâmes alentour de l’église souterraine sans pouvoir y pénétrer autrement que des yeux. C’est une crypte toute de marbre noir ou gris d’un effet inexprimable. On y officie l’hiver, à cause de la chaleur qui s’y concentre. Les trésors amoncelés dans cette vieille millionnaire, qui d’abord paraît tristement pauvre, sont incalculables. Le portique de cette basilique, fondée par saint Ambroise en 387, qui voulut y être enseveli… Nous nous arrêtâmes quelque temps sous le portique majestueux de sa sévère nudité. Au-dessus se donnait alors une leçon de chant d’église, et les voix les plus éclatantes nous retinrent sans me rappeler pourtant le charme mélancolique de cette voix en-

  1. Variante : emprisonnent.