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général ; sans lui point de Langue : il est toujours exprimé ou sous-entendu. EST, verbe unique dans toutes les Langues, parce qu’il représente une opération unique de l’esprit ; Verbe simple & primitif, parce que tous les autres ne sont que des déguisements de celui-là. Il se modifie pour se plier aux différents besoins de l’homme, suivant les tems, les personnes & les circonstances. Je suis, c’est-à-dire, moi est : être est une prolongation indéfinie du mot est : j’aime, c’est-à-dire Je suis aimant, &c. Voilà une clef générale avec laquelle on trouve la solution de toutes les difficultés que renferment les Verbes.

Page 38. Le scandale de notre Littérature.

Comme le Théâtre donne un grand éclat à une Nation, les Anglais se font ravisés sur leur Shakespéare, & ont voulu, non-seulement l’opposer, mais le mettre encore fort au-dessus de notre Corneille : honteux d’avoir jusqu’ici ignoré leur propre richesse. Cette opinion est d’abord tombée en France, comme une hérésie en plein Concile : mais il s’y est trouvé des esprits chagrins & anglomans, qui ont pris la chose avec enthousiasme. Ils regardent en pitié ceux que Shakespéare ne rend pas complettement heureux, & demandent toujours qu’on les enferme avec ce grand-homme. Partie mal saine de notre Littérature, qui lasse de reposer sa vue sur les belles proportions, ne cherche plus que des monstres. Essayons de rendre à Shakespéare sa véritable place.

On convient d’abord que ses Tragédies ne sont que des Romans dialogués, écrits d’un style obscur & mêlé