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le nom est une espèce de pronom, & le pronom devant le verbe est encore une sorte d’article. On voit par ce peu de mots, que nous manquons de Grammaire, & que ceux qui ont entrepris d’en faire, se sont promenés dans la Langue Française, avec la robe Grecque ou Latine.

En effet, un bon Esprit ne peut voir, sans quelque pitié, le début de tous nos Grammairiens. Il y a, disent-ils, huit parties d’Oraison, le Verbe, l’interjection, le Participe, les Substantifs, les Adjectifs, &c. Quand on a l’honneur d’être Français, on ne sait trop ce que signifie cette phrase barbare. On voit seulement qu’ils ont voulu compter & classer tous les mots qui entrent dans une phrase, & sans lesquels il n’y auroit pas de discours. Mais sans se perdre dans ces distinctions de l’Ecole, ne seroit-il pas plus simple de dire que tous les mots sont des noms, puisqu’ils servent toujours à nommer quelque chose ?

L’homme donna des noms aux objets qui le frappoient ; il nomma aussi les qualités dont ces objets étoient doués : voilà deux espèces de noms, le Substantif & l’Adjectif, si on veut les appeller ainsi. Mais pour créer le Verbe, il fallut revenir sur l’impression que l’objet ou ses qualités avoient faite en nous : il fallut réfléchir & comparer ; & sur le premier jugement que l’homme porta, naquit le Verbe ; c’est le mot par excellence. C’est un lien universel & commun qui réunit dans nos idées les choses qui existent séparément hors de nous ; c’est une perpétuelle affirmation pour le oui ou pour le non : il rapproche les diverses images qu’offre la Nature, & en compose le tableau