Page:Rivarol - De l'universalité de la langue française.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvons & que nous sentons dans le style de nos Ancêtres, l’est devenu pour nous ; il n’étoit pour eux que le naturel. C’est ainsi qu’on trouve tout naïf dans un enfant qui ne s’en doute pas. Chez les Peuples perfectionnés & corrompus, la pensée a toujours un voile, & la modération exilée des mœurs se réfugie dans le langage, ce qui le rend plus fin & plus piquant. Lorsque, par une heureuse absence de finesse & de précaution, la phrase montre la pensée toute nue, le naïf paroît. De même chez les peuples vêtus, une nudité produit la pudeur : mais les Nations qui vont nues, sont chastes sans être pudiques, comme les Gaulois étoient naturels sans être naïfs. On pourroit ajoûter que ce qui nous fait sourire dans une expression antique, n’eut rien de plaisant dans son siecle ; & que telle épigramme chargée du sel d’un vieux mot, eût été fort innocente il y a deux cents ans. Il me semble donc qu’il est ridicule d’emprunter les livrées de la naïveté, quand on ne l’a pas elle-même : nos grands Ecrivains l’ont trouvée dans leur ame, sans quitter leur Langue, & celui qui, pour être naïf, emprunte une phrase d’Amyot, demanderoit, pour être brave, l’armure de Bayard.

C’est une chose bien remarquable, qu’à quel-