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versalité qu’obtient chaque jour la Langue française. On sait quelle distance sépare en Italie la poésie de la prose ; mais ce qui doit étonner, c’est que le vers y ait réellement plus de dureté, ou, pour mieux dire, moins de mignardise que la prose. Les loix de la mesure et de l’harmonie ont forcé le poëte à tronquer les mots, & par ces syncopes fréquentes il s’est fait une Langue à part, qui, outre la hardiesse des inversions, a une marche plus rapide & plus ferme. Mais la prose, composée de mots dont toutes les lettres se prononcent, & roulant toujours sur des sons pleins, se traîne avec trop de lenteur : son éclat est monotone, l’oreille se lasse de sa douceur, & la langue de sa mollesse ; ce qui peut venir de ce que chaque mot étant harmonieux en particulier, l’harmonie du tout ne vaut rien. La pensée la plus vigoureuse se détrempe dans la prose Italienne. Elle est souvent ridicule et presqu’insupportable dans une bouche virile, parce qu’elle ôte à l’homme ce caractere d’austérité qui doit en être inséparable. Comme la Langue Allemande, elle a des formes cérémonieuses[1], ennemies de la conversation, et qui ne donnent pas assez bonne opinion de l’espèce humaine. On y est toujours dans la fâcheuse alternative d’ennuyer ou d’insulter un

homme
  1. L’Arioste se plaint des Espagnols à cet égard, & les accuse d’avoir donné ces formes serviles à la Langue Toscane, au tems de leurs conquêtes & de leur séjour en Italie.

    Dapoi che l’adulazione Spagnuola,
    A posto la Signoria in Burdella,

    Observons que l’Italien a plus de formes sacramentelles qu’aucune autre Langue.