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qui commerçoient pour elle, sans songer qu’il faut toujours les payer davantage. Grave, peu communicative, subjuguée par des Prêtres, elle fut pour l’Europe ce qu’était autrefois la mystérieuse Égypte, dédaignant des voisins qu’elle enrichissait, et s’enveloppant du manteau de cet orgueil politique qui a fait tous ses maux.

On peut dire que sa position fut un autre obstacle au progrès de sa Langue. Le voyageur qui la visite y trouve encore les colonnes d’Hercule, et doit toujours revenir sur ses pas : aussi l’Espagne est-elle, de tous les royaumes, celui qui doit le plus difficilement réparer ses pertes lorsqu’il est une fois dépeuplé.

Enfin la Langue Espagnole ne pouvait devenir la Langue usuelle de l’Europe. La majesté de sa prononciation invite à l’enflure, et la simplicité de la pensée se perd dans la longueur des mots et sous la noblesse des désinences[1]. On est tenté de croire qu’en Espagnol la conversation n’a plus de familiarité, l’amitié plus d’épanchement, le commerce de la vie plus de liberté, et que l’amour y est toujours un culte. Charles-Quint lui-même, qui parloit plusieurs langues, réservait l’Espagnol pour des jours de solennités et pour ses prieres. En effet, les

  1. Un mendiant Espagnol qui demande uno maravedis avec un air de morgue, paroît exiger quelque grosse contribution, & ne demande réellement qu’un liard.