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avoient blessé l’Etat dans son principe, et ces deux grandes plaies ne tardèrent pas à paroître. Aussi, quand Richelieu frappa le vieux Colosse, il ne put résister à la France, qui s’étoit comme rajeunie dans les guerres civiles. Ses armées plierent de tout côté, sa réputation s’éclipsa. Peut-être que sa décadence eût été moins prompte, si sa Littérature avoit pu alimenter l’avide curiosité des esprits, qui se réveilloit de toute part : mais le Castillan, substitué partout au patois Catalan, comme notre Picard l’avoit été au Provençal ; le Castillan, dis-je, n’avoit point cette galanterie Moresque, dont l’Europe fut si long-tems charmée, & le génie national étoit devenu plus sombre. Il est vrai que la folie des Chevaliers-Errants nous valut le Dom-Quichotte, & que l’Espagne acquit un Théâtre : mais le génie de Cervantes et celui de Lopès de Véga ne suffisoient pas à nos besoins. Le premier, d’abord traduit, ne perdit point à l’être ; le second, moins parfait, fut bientôt imité et surpassé[1]. On s’apperçut donc que la magnificence de la Langue Espagnole et l’orgueil national cachoient une pauvreté réelle. L’Espagne, placée entre la source de la richesse, & les canaux qui l’absorbent, en eut toujours moins : elle paya ceux qui

  1. J’entends par les Tragiques Français : car Lopès de Vega peut être comparé à Shakespéare pour la force, l’abondance, le désordre & le mélange de tous les tons.