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Le tems ſemble être venu de dire le Monde Français, comme autrefois le Monde Romain ; & la Philoſophie, laſſe de voir les hommes toujours diviſés par des Maîtres qui ont tant d’intérêt à les iſoler, se réjouit maintenant de les voir, d’un bout de la terre à l’autre, ſe former en République ſous la domination d’une même Langue. Spectacle digne d’elle, que cet uniforme & paiſible empire des Lettres qui s’étend ſur la variété des Peuples, & qui, plus durable & plus fort que celui des armes, s’accroît également des fruits de la paix & des ravages de la guerre !

Mais cette honorable univerſalité de la Langue Françaiſe, ſi bien reconnue & ſi hautement avouée dans notre Europe, offre pourtant un grand problême ; parce qu’elle tient à des cauſes ſi délicates & ſi puiſſantes à la fois, que pour les démêler il s’agit de montrer juſqu’à quel point la poſition de la France, ſa conſtitution politique, la nature de ſon climat, le génie de ſa Langue & de ſes Ecrivains, le caractere de ſes habitans & l’opinion qu’elle a ſu donner d’elle au reſte du Monde ; juſqu’à quel point, dis-je, tant de cauſes diverſes ont pu combiner leurs influences & s’unir, pour faire à cette Langue une fortune ſi prodigieuſe.