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trié qui me servit d’interprète. Enfin nous rentrons à l’auberge où bientôt le mandarin vient me trouver ; il s’approche, me tend la main en me disant : « Yes ! » et nous nous donnons une poignée de main à l’anglaise, puis, remuant les doigts un à un, pour me faire voir sa science, il prononce en anglais : « One, two, three, four, five, six, seven, » en s’arrêtant à sept. « Vous êtes Anglais, me dit-il ? — Non, je suis Français, il y a ici une église catholique, il doit y avoir un missionnaire, je désirerais le voir. » On envoya aussitôt chez le missionnaire qui vint à l’auberge où on lui raconta mon histoire. Puis on me conduisit dans la chambre où il se trouvait et, en sa personne, je reconnus M. Chevalier que j’avais vu quelques années auparavant, à Notre-Dame des Neiges. Quelle joie aussi pour lui en me revoyant ! Il ne pouvait en croire ses yeux ; on avait, paraît-il, annoncé ma mort. Le mandarin lui dit « Connaissez-vous ce missionnaire ? — Je crois bien, dit-il, que je le connais. — Est-il Français ? — Mais oui, Français comme moi. — Pouvez-vous vous en charger et en répondre ? — Certainement, avec le plus grand plaisir. — Eh bien, alors vous pouvez l’emmener, » et il me remit entre ses mains. C’était la liberté, après six mois de captivité ! Nous nous rendîmes, en chariot, chez le bon M. Chevalier. Je renonce à décrire les impressions de part et d’autre.

Ce soir-là j’appris la mort de Pie IX et l’élection de Léon XIII, la mort de Mgr Verrolles, de Victor-Emmanuel, etc. J’appris aussi des nouvelles de nos confrères de Corée qui étaient vivants et toujours au poste. Je passai trois jours à Moukden pour me remettre un peu ; les bons soins qui m’y furent prodigués ramenèrent bientôt mes forces. J’eus l’insigne bonheur d’y faire mes Pâques, il y avait si longtemps que j’étais privé du saint sacrifice ! La mission possède en cette ville un bel établissement, j’admirais surtout la magnifique église que M. Chevalier vient d’y construire, elle était sur le point d’être achevée ; ce sera un beau monument dont les deux tours dominent tout le pays. Dès mon arrivée on avait expédié pour le port de Ing-tze une lettre qui malheureusement s’arrêta en route.

Cependant il me tardait de me rendre à Notre-Dame des Neiges pour connaître toutes les nouvelles. Je partis le 4 juillet et le soir j’arrivai à Cha-ling surprendre M. Boyer qui ne m’attendait nullement. Le lendemain, je me rendis à Niou-tchouang où ma présence causa la même surprise à M. Riffard qui administre la chrétienté. Le 6, nous nous mettons en route, M. Riffard à cheval et moi en chariot. Lorsque nous sommes près d’arriver,