Page:Ridel - Relation de la captivité et de la délivrance de Mgr Ridel, 1879.pdf/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 85 —

les terres ; partout on y voit de petites habitations nouvellement bâties dont les habitants chinois, après avoir coupé, abattu et brûlé les arbres, ont défriché le pays en y formant des champs où les moissons poussent avec vigueur, bientôt ce sera un riche pays, il n’y a plus de désert.

Comme il n’y a pas encore d’auberges, on avait eu soin d’emporter les provisions pour le dîner ; après six lieues de marche, nous arrivâmes à Syek-son où le gouvernement coréen a une maison qui sert de pied-à-terre pour se rendre à Pyen-men. Nous nous y arrètâmes et le mandarin pour me bien traiter fit étalage de toutes ses petites boîtes de conserves, en m’invitant à manger, ce que je fis sans me faire prier, et ce dîner froid me parut délicieux. Le soir nous fîmes encore six lieues, il était nuit lorsque nous arrivâmes à Pyen-men où les Coréens ont un grand établissement ; c’est là que nous passâmes la nuit, à plus de cent vingt lieues de la capitale, le lundi soir, 24 du mois de juin après quatorze jours de voyage. Il y avait là une foule de bas employés du gouvernement, de courtiers, de marchands ; et la maison, qui est du reste assez sale, me parut être un grand magasin où sont entassées les marchandises venant de Pékin, en attendant qu’on les introduise peu à peu en Corée, sur ces grossiers chariots coréens, que j’ai remarqués en grand nombre, dans la cour de ce bouge. Tout le monde voulut, là encore, connaître mon histoire, et les questions tombaient plus denses que la pluie de la journée, posées avec une audace plus grande que partout ailleurs, c’était le bouquet. La ville chinoise de Fong-hoang-chang où l’on devait me remettre entre les mains des autorités chinoises est à trois lieues de ce poste, On m’y conduisit le lendemain avec le même cortège. La route se fit facilement et nous descendîmes à l’auberge où j’eus tout le temps de parler avec notre mandarin, en attendant la décision des autorités chinoises toujours lentes en semblable affaire. Quelques Chinois nous regardaient, tous me prenaient pour un Coréen ayant quelque haute dignité. Le mandarin me dit : « Comme le peuple chinois est doux et tranquille ! quelle différence avec le caractère de notre peuple emporté, colère, vif, toujours remuant ! » J’approuvais d’autant plus volontiers que ce pauvre vieux, la veille, m’avait mis sous les yeux deux exemples de son caractère hautain et peu patient. En effet, la veille au passage de la rivière, il remarqua un Coréen tout occupé à me regarder, sans faire attention qu’il fumait devant son mandarin. Celui-ci, aussitôt transporté de colère, lui fait arracher la pipe de la bouche et ordonne de la