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qui, armés de bâtons et pleins de zèle, se mettent en devoir d’écarter tout le monde. Je m’empressai de dire au mandarin qui m’accompagnait : « Tous ces gens désirent me voir, laissez-les donc tranquilles ; surtout empêchez les satellites de les frapper ; à quoi bon, nous pourrons toujours passer en allant doucement. » Aussitôt, le mandarin s’écrie : « Ne frappez pas, ne frappez pas, l’Européen ne veut pas qu’on frappe le peuple. » Nous avançons ainsi au milieu de la foule qui nous accompagne, nous traversons la plage et montons dans les grandes barques plates qui nous attendaient. C’était un spectacle curieux de voir tout ce peuple échelonné sur la grève, ces enfants qui se mettent à l’eau, pour me voir de plus près, ils entourent notre bateau et souriant amicalement nous montrent deux belles rangées de dents blanches ; d’autres se sont élancés dans des pirogues formées d’un seul tronc des grands arbres de la forêt, ils les manœuvrent, avec grâce et agilité, sur cette belle rivière qui coule avec calme et tranquillité. Tout ce peuple, c’est mon peuple, ce sont mes enfants ; Notre Seigneur par l’entremise du vénéré pontife Pie IX me les a confiés, me les a donnés, et je les abandonne !

Nous faisons tranquillement cette traversée et nous abordons à la première île ; de grandes barques coréennes montent et descendent la rivière, de l’autre côté de l’île, dans l’autre bras du fleuve, on aperçoit les voiles des jonques chinoises très-nombreuses qui sillonnent le même fleuve. Descendu à terre, je me retourne pour contempler encore une fois ce beau pays, ma chère mission. Quel beau coup d’œil ! quel splendide panorama ! C’est comme un sourire de la Corée que je suis forcé de quitter. Du fond de mon cœur embrassant tout le pays, je lui envoyai ma plus tendre bénédiction en disant : Au revoir ! que ce soit bientôt !

XVI

Après cette île, il y a encore une autre île, de sorte qu’il nous fallut traverser trois branches de la même rivière. La seconde île est habitée par des Chinois ; les Coréens y circulent et passent même tous les jours jusque sur le territoire chinois pour y faire du bois et couper les grandes herbes qui poussent sur les montagnes. Le pays que nous traversons est nouvellement habité, il y a quelques années c’était un grand désert qui séparait la Chine de la Corée ; le gouvernement chinois a vendu