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quille ; on nous regarde passer, sans nous incommoder. Ah ! que notre peuple est donc mal éduqué ! mais c’est en lui, c’est dans sa nature. »

Eui-tjyou est une grande ville placée sur le versant d’une colline ; d’un côté elle est protégée par les montagnes couvertes de hauts sapins ; de l’autre côté, coule tranquillement le fleuve Am-no ou Ap-nok-kang, en chinois Ya-lou-Kiang ou fleuve du Canard-vert. C’est dans cette ville que nos courriers avaient été arrêtés ; il devait encore se trouver trois chrétiens en prison, et j’ai su, par un des interprètes qui me témoignaient assez de confiance, qu’ils étaient dans la même situation. On vint me demander si je ne désirais pas rester quelque temps à me reposer, je répondis qu’étant en voyage, le mieux était de ne pas s’arrêter, « à moins, ajoutai-je, que vous ne vouliez me conserver en Corée, alors je m’établirais ici pour y prêcher la doctrine. — Eh bien, demain, me dit-il, tout sera prêt pour le départ. »

Le lendemain, je vis le mandarin qui m’avait accompagné depuis la capitale et dont la mission était terminée. Nous nous fîmes des politesses, je le remerciai des soins qu’il m’avait donnés en route, nous nous souhaitâmes toutes sortes de bonheur, et nous nous séparâmes bons amis. Le mandarin de la ville vint me demander si j’avais bien dormi pendant la nuit et me souhaiter un bon voyage, ce qu’il fit avec une certaine splendeur, mais aussi avec assez de bonhomie ; je lui souhaitai la paix et la prospérité, en lui promettant de conserver un bon souvenir de mon passage dans sa ville et de ne jamais oublier la Corée. « Bon, bon, » dit-il, et s’adressant à ceux qui devaient m’accompagner : « Prenez bien soin de lui en route, faites bien attention au passage des rivières et qu’il ne manque de rien. — C’est trop de bonté, lui dis-je, jusqu’ici j’ai été bien traité, et je n’ai nullement à me plaindre de ceux qui m’ont accompagné, je les en remercie et je voudrais en remercier le gouvernement ; cette conduite à mon égard me fait encore aimer dix mille fois plus la Corée, et ne fait qu’augmenter mon regret d’être obligé de quitter un si beau pays, dont les habitants ont été pour moi remplis de prévenances. J’espère bien qu’un jour le gouvernement ne défendra plus et nous permettra d’entrer, vous pouvez être certain qu’alors je m’empresserai de revenir. » Le mandarin se mit à rire et les assistants me regardant, me dévorant presque des yeux disaient : « Comme c’est tout de même un brave homme. »

Nous nous mettons en marche, on attendait notre sortie, et, comme la veille, la foule était compacte ; je vois les satellites