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où je supposais que devait être caché M. Doucet. En passant, j’envoyai une bénédiction à ces chers et bons missionnaires, encore tout jeunes et exposés à tant de peines, de privations, de dangers et de fatigues.

Après avoir passé les districts de Syen-tchyen et de Tchyel-san, nous arrivons à Ryong-tchyen où nous rencontrons deux interprètes pour le chinois, qui, envoyés à notre rencontre, nous attendaient depuis trois jours. Ils vinrent me voir dès mon arrivée, m’annonçant que le Gouvernement les avait envoyés pour m’escorter et me conduire jusqu’en Chine où ils me remettraient entre les mains des autorités chinoises. Ils me parlèrent de Pékin qu’ils connaissaient parfaitement, accompagnant chaque année comme interprètes les ambassadeurs coréens. Ils eurent pitié de l’état de fatigue où je me trouvais et firent retirer tout le monde, ce qui me permit un peu de me reposer. Il nous restait neuf lieues avant d’arriver à Eui-tjyou, la dernière ville du territoire coréen ; nous nous mîmes en route, notre caravane était devenue plus nombreuse. Le soir, du haut des montagnes nous aperçûmes le fleuve qui sert de limite entre la Corée et la Chine dont nous distinguions le territoire et les montagnes, puis nous fûmes bientôt près de la ville. On s’attendait encore à une petite émeute à mon occasion, aussi prit-on toutes les précautions pour traverser, le plus facilement et le plus promptement possible, cette grande ville dont le mandarinat où nous allions était à l’autre extrémité. Nous entrons assez tranquillement, mais bientôt on m’a reconnu, alors c’est comme un flot de population qui court, se précipite, pousse des cris ; plus de trente satellites sont occupés à maintenir la populace. Il est difficile de voir un tel spectacle, d’entendre un tel vacarme qui dure près d’une heure, car le mandarinat, où nous sommes enfin entrés, est lui-même envahi. Tous les gros employés s’empressèrent de me faire visite, le mandarin lui-même vint en personne s’informer de ma santé. « Les Coréens, me disaient-ils, sont un bien drôle de peuple. Ils n’ont jamais rien vu, ils sont curieux à l’excès, un rien, un simple cortège met toute la population en mouvement ; vous en avez souffert sur la route. Nous-mêmes lorsque nous voyageons nous en sommes incommodés. — Tous les peuples sont bien un peu de la sorte, dis-je, et ici, en Corée, ils n’ont pas souvent l’occasion de voir un Européen. — Non, non, tous les peuples ne sont pas ainsi, il n’y a que nous, Coréens, à avoir cette mauvaise habitude. Ainsi, lorsque nous allons à Pékin, nous traversons des villages, des villes dont la population reste tran-