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bien et à éviter le mal, et elle nous procure la vie éternelle. Je ne puis vous instruire, mais cherchez, vous trouverez des hommes qui la connaissent et vous l’enseigneront, car Dieu veut vous sauver. Je ne suis pas libre, le Gouvernement m’a arrêté et me chasse du pays, je suis forcé de m’en aller sans pouvoir travailler à faire le bien que je voudrais. — Oh ! quel malheur pour notre pays, ajoutait le bon vieux, les larmes aux yeux, quelle fureur a donc le gouvernement de rejeter ainsi ce qui pourrait faire notre bonheur ? » Puis encore me prenant les mains : « Venez, dit-il, entrez un instant dans ma maison, ce sera pour moi, pour ma famille, une bénédiction ; j’ai un peu de vin, vous devez avoir besoin de vous rafraîchir. — Je ne le puis, d’abord je ne bois pas de vin, puis, de plus, voilà notre mandarin qui arrive ; je serais désolé d’être la cause d’un malheur pour vous. Soyez calme et tranquille, je vous ai vu, vos paroles m’ont fait du bien, au milieu des maux qui m’accablent, je ne vous oublierai pas et je prierai Dieu pour vous ; faites en sorte de trouver des chrétiens pour vous faire instruire. » Le mandarin arrivait, je dus m’écarter pour ne pas compromettre cet homme qui, cependant, tout en s’éloignant, ne cessait de faire mon éloge, bien qu’il ne me connût pas ; mais il avait depuis longtemps entendu parler de la religion, de nos confrères, de nos martyrs.

Cette rencontre me consola de bien des peines et aussi augmenta bien ma tristesse ; il me fallait quitter ce pays où il y avait tant d’âmes si bien disposées. Que de réflexions je fis ! que j’aurais voulu instruire ce pauvre homme qui, malgré le danger et sans respect humain, confessait ainsi la sainteté de la religion chrétienne ! Que de bonnes populations j’ai rencontrées surtout dans les villages ! Tous voulaient me voir et me considéraient sans air d’hostilité, ils n’avaient jamais vu d’Européen ; cependant on me dit qu’il y avait déjà longtemps, un Européen naufragé sur les côtes de Corée et conduit en Chine, avait suivi le même chemin, mais outre que peu de personnes l’avaient vu, comme il ne comprenait pas la langue, on n’avait pas eu le plaisir de l’entendre parler.

Sur la route que je parcourus, je n’ai pas vu de chrétiens, en eussé je vu que je n’aurais pas pu les distinguer dans la foule, et la prudence les aurait empêchés de se faire reconnaître. J’ai considéré de loin les hautes montagnes où était notre collège et où pouvait être encore M. Robert ; dans les environs, il y a plusieurs villages chrétiens. Je vis aussi d’un autre côté la haute montagne de Kou-ovel ou montagne de la neuvième lune