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duit dans un tribunal, la foule s’y précipite, on me conduit dans un autre lieu, même spectacle, tous veulent me voir ; la bataille dure bien trois heures et on est obligé de m’enfermer dans un cabinet noir et retiré où bientôt je suis assiégé. « Pourquoi le renvoyer, on eut bien mieux fait de le mettre à mort ? Que pense donc notre gouvernement ? il n’y a donc plus de braves à la capitale ! il faudrait le tuer ici. — Comment, mais c’est l’ordre. du Fils du Ciel de le renvoyer, il a même ordonné de le bien traiter ; c’est un homme qui a du renom dans son pays, et en Chine, c’est un grand personnage. — Comment, c’est l’ordre de l’empereur de Chine ? — Oui, certainement, il a envoyé un courrier exprès pour le réclamer. » Cette parole calma un peu l’émeute, tant est grand en Corée le prestige de l’empereur de Chine ; une parole suffit pour tout calmer. Les satellites aussi reçurent des ordres très-précis du gouverneur pour me protéger, ce qui contribua à ramener entièrement le calme, car, dans cette ville, les satellites et les employés du gouvernement étaient les plus acharnés. Le peuple m’a paru assez pacifique et tranquille. On s’arrêta en cet endroit une demi-journée, notre mandarin devant revêtir en ce lieu des habits de deuil pour la mort de la reine Kim dont j’ai parlé précédemment. La soirée se passa plus tranquillement, plusieurs personnes vinrent pour me voir, mais tout se faisait avec ordre. Le lendemain il fallut partir, dans la rue ce fut la même affluence.

Enfin, vers onze heures, après que notre mandarin eut accompli les rites à je ne sais quel tribunal, nous sortîmes de la ville et bientôt nous fûmes sur la grand’route qui, depuis cette ville jusqu’à la frontière de Chine, est fréquentée par des chariots, chose rare en Corée. Ces chariots sont énormes et grossièrement fabriqués, le joug est fixé au brancard qu’il suffit d’abattre et de poser sur le cou du bœuf, sans qu’on ait besoin d’autres harnais. Nous rencontrions souvent les courriers du gouvernement, ce sont les courriers rapides qui font le service entre la capitale et la frontière. Montés sur de petits chevaux, ayant pour selle un petit tapis duquel pendent des étriers en paille, soutenus par des courroies également en paille de riz, ils vont toujours au galop et font la route en trois jours, bien qu’il y ait mille quatre vingt-seize lis ou cent neuf lieues. Les bœufs de Corée sont d’une belle race, grands, forts et généralement bien nourris ; les chevaux, au contraire, sont petits, mais forts et durs à la fatigue ; il y en a même de tout petits qui semblent des jouets pour les enfants, ils ne sont pas plus hauts que de petits ânes