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personne ne voyage sans chapeau. J’attrapai même une espèce d’insolation à la suite de laquelle je souffris beaucoup de la tête et je fus pris d’une espèce de dysenterie. Ce qui me fatiguait le plus, c’était cet encombrement de la chambre où l’on me déposait le soir, Après une journée de voyage, au lieu de me reposer en arrivant, j’étais assailli par la foule qui ne s’en allait pas et restait si avant dans la nuit, que je n’avais pas le temps de reposer suffisamment. En vain me suis-je plaint, en vain le mandarin qui m’accompagnait fit-il tous ses efforts pour écarter les visiteurs, il ne put réussir. Quand il me vit malade, il fut effrayé. « Je suis un peu médecin, me dit-il, je vais vous donner un remède. » Je pris de fait deux potions, mais bien inutilement ; il me fallut souffrir pendant plusieurs jours jusqu’à mon arrivée en Chine.

Nous étions à Tjyoung-hoa, la première ville de la province de Hpyeng-an, à cinquante-deux lieues de la capitale, le dimanche 16 juin. Dans cette province le langage est un peu différent de celui de la capitale et du sud de la Corée. Le lendemain nous devions arriver à Hpyeng-yang, capitale de la province, grande ville entourée de murailles et placée gracieusement sur la rive droite du fleuve Tai-tong (grande réunion d’eau). Ce fleuve est navigable et les grandes barques de Syéoul viennent décharger leurs marchandises sous les murs de la ville. Les habitants de Hpyeng-yang ont la tête chaude, il sont tapageurs et audacieux. Ce sont eux qui ont mis le feu à la petite goëlette américaine, le Général Sherman échouée sur la rive du fleuve et qui en ont massacré l’équipage. Ce sont eux qui se sont présentés pour chasser les Français de Kang-hoa. Le commerce y est grand, actif, et la ville est toujours en mouvement. Après avoir parcouru une longue plaine coupée de montagnes, nous arrivons sur les bords du Tai-tong-Kang que nous traversons sur de longues barques plates. Bientôt nous sommes à l’autre bord et nous entrons dans la ville en traversant une porte épaisse et sombre.

Quand on m’eût reconnu, ce fut un bruit, un brouhaha de la foule qui se précipitait, comme les flots de la mer, et bientôt devint si compacte, que les porteurs ne pouvaient plus avancer. J’étais toujours caché à tous les regards. « Il faut le voir, il faut le voir », criait-on de tous côtés, « découvrez la chaise » ; dans un instant les rideaux sont enlevés et la foule se presse de plus en plus pour me contempler. Le mandarin crie, sa voix ne peut dominer le bruit ; les porteurs font tous leurs efforts, les satellites armés de bâtons frappent à droite et à gauche. Enfin on me con-