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notre route, examinons le pays. Ce sont toujours des montagnes dont quelques-unes très-boisées ; dans les vallées, des rizières abondantes et fertiles ; ça et là des villages, des hameaux dont toutes les maisons se ressemblent. Nous suivons la grand’route, les relais de postes sont fréquents, les hôtelleries ou auberges pour les voyageurs assez rapprochées ; nous n’eûmes guère l’occasion de nous y arrêter qu’un instant, pour donner aux porteurs le temps de se reposer ou pour prendre un repas, lorsque la route était trop longue d’un district à l’autre. Après avoir passé Pong-san, nous cotoyons une montagne, en suivant la route qui fait mille détours pour arriver au sommet du passage. C’est un endroit difficile ; deux ou trois voyageurs n’oseraient s’y aventurer seuls, on se réunit en caravane pour se défendre du tigre qui est le maître, le roi de la montagne. Dans les maisons, on entend continuellement parler des malheurs causés par ces animaux sauvages qui sont très-nombreux et font disparaître beaucoup d’habitants des environs et de voyageurs. Au bas de la montagne plusieurs personnes se réunissent à nous, nous sommes en nombre suffisant. Au sommet, il y a une petite maison qui sert d’auberge et une toute petite pagode dédiée au diable du tigre. Je vois un homme qui s’approche de la pagode ; il récite une prière en s’inclinant fréquemment et en se frottant les mains ; il priait pour tout le monde, chaque voyageur eut sa prière spéciale, j’eus aussi la mienne, et je ne fus pas peu surpris en l’entendant dire : « Faites que Pak-myeng-i traverse heureusement le défilé, préservez-le du tigre, accordez-lui un bon voyage, sans accident, ô vous protecteur des voyageurs ! faites. » Nous commençons à descendre la montagne sous l’ombrage des arbres de toutes sortes et parmi lesquels on distingue le pin, le sapin s’élevant à une grande hauteur. Peu à peu la forêt devient plus touffue, les fourrés plus épais ; quelle variété d’arbres, d’arbustes, de plantes de toutes sortes ! mais de fait, ce doit être un vrai repaire de tigre, il pourrait être caché à quatre pas qu’on ne l’aperçevrait pas ; nous voyageâmes ainsi longtemps dans ce pays enchanté et nous sortîmes de la forêt sans aucun accident.

Pour reposer mes porteurs, j’avais fait toute la traversée à pied, ce que je faisais le plus souvent possible pour me fortifier par un peu d’exercice, me délasser les jambes et aussi soulager mes pauvres porteurs. Malheureusement je n’avais pas de chapeau, on n’avait pas voulu m’en donner à la capitale, ce qui fut en route le sujet d’une foule de questions, car ordinairement.