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vant, ils se rangèrent pour les laisser passer afin qu’elles pussent me voir de plus près. Remarquant que je ne les considérais pas, ils me dirent : « Regarde donc ces courtisanes qui viennent te voir. — Non, dis-je, je ne veux pas les voir et elles ne doivent pas entrer ici. Si c’étaient des personnes sages et modestes, elles n’entreraient pas dans cet appartement. Laisseriez-vous, vous-mêmes, vos femmes, vos filles courir ainsi et entrer de la sorte dans une chambre où il n’y a que des hommes, des étrangers ? » Ils n’avaient rien à répondre, seulement les plus sages se détournèrent et dirent « Sortez, sortez, » et toutes ces pauvres créatures s’éclipsèrent ; alors ils me dirent : « Les femmes d’Europe sont-elles aussi jolies que les femmes de Corée ? » Je me contentai de répondre « Une femme qui est ornée de toutes les vertus est toujours jolie, de plus, une femme eût-elle toute la beauté du monde, si elle n’est pas vertueuse est laide. » Le mandarin s’empressa d’approuver la réponse en disant, avec un grand sérieux : « Quelle belle et profonde parole ! » Pour vous faire voir encore à fond la pensée de ces païens sur ce sujet, voici ce que j’entendis le lendemain dans un autre district : « Oh ! on ne peut pas le nier, disait un prétorien, c’est vraiment un grand homme ! Hier dans tel district on lui a amené toutes les courtisanes vêtues de leurs plus riches habits, eh bien ! le croiriez-vous ? il est cependant certain qu’il n’a pas voulu les voir, qu’il n’a pas jeté un seul regard sur elles. Oh, allez ! il n’y a pas de doute, personne ne peut le nier, c’est un bien grand noble, un vrai grand homme. »

Dans toutes les préfectures on entretient de ces pauvres créatures qui sont formées à tous les usages du monde et instruites dans tous les arts d’agrément. Elles sont polies, quelques-unes extérieurement pleines de modestie, habillées convenablement. J’en ai vu une qui pouvait avoir de douze à quatorze ans, revêtue d’une longue robe traînante en mousseline blanche, un long voile de même étoffe sur la tête, on eût dit une enfant de la première communion. Je me rappelle avoir entendu citer ce fait : À la capitale, en 1868, au moment où l’on exécutait un grand nombre de chrétiens, une courtisane, entendant parler de cette persécution, demanda ce que c’était que la religion ; quand elle l’eut appris, elle s’écria : « Mais c’est très-beau, cette doctrine, et moi aussi je veux la suivre, je veux être chrétienne. » Elle fut arrêtée et quelques jours après mise à mort en haine de la foi.

Mais hâtons-nous de sortir de cette ville et, en continuant