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toi. » Je voulus protester, mais bien inutilement, c’était l’ordre du préfet de police qui ne change jamais d’avis, et qui de plus n’était pas présent. On ouvrit donc de nouveau toutes les caisses, on examina tous les livres qui s’y trouvaient, on mit de côté les livres en caractères chinois, puis ceux en caractères coréens, même les livres européens où se trouvaient quelques caractères chinois ou coréens ; tous nos manuscrits, nos travaux sur la langue y passèrent ; heureusement que j’avais pris mes précautions, ayant eu soin de laisser en Chine un exemplaire de nos livres les plus importants ; ainsi on mit de côté le dictionnaire coréen-chinois-français de M. Richard, que j’avais emporté afin de conserver le mien qui est plus complet ; cependant il y avait quelques ouvrages nouvellement traduits et dont il n’existait pas d’autres exemplaires. Lorsque le triage fut fait, on remit dans les caisses la plupart des autres objets, en les jetant au hasard pêle-mêle ; je dis la plupart, car ce soir-là, on eut soin encore de faire disparaître quelques objets sur lesquels certainement il ne se trouvait ni caractères chinois, ni caractères coréens. Quoique extrêmement fatigué, je voulus mettre la main pour refaire un peu les caisses et y mettre plus d’ordre, mais on s’y opposa. « Comment, dis-je, pour un si long voyage vous avez tout mis en désordre dans ces caisses à demi-pleines, au bout du voyage, tout sera brisé, gâté, perdu. » Ils se mirent à rire pour toute réponse, on semblait se moquer de moi, je crois que tous ces employés étaient furieux de me voir partir. Moi, au contraire, je pensais que sous tout cela il y avait quelque mystère, je doutais du but du voyage qui ne m’avait pas été notifié officiellement. Mais m’abandonnant entièrement à la Providence, je n’éprouvais aucune inquiétude. On ferma les caisses qu’on cacheta de nouveau, puis on les fixa avec des cordes de paille. Dans la cour, on apporta du feu ou furent jetés peu à peu les livres qu’on venait de retirer. Ils vinrent m’inviter à aller voir ce spectacle, mais je refusai, restant assis dans un coin de la chambre, au milieu des cris, des vociférations, des rires de tous ces êtres qui ne disparurent que fort avant dans la nuit.

Il fallait se lever de grand matin, mais je ne pus m’endormir que difficilement, toutes les scènes que j’avais vues me revenaient, je me rappelais les paroles entendues. Il pleuvait, j’avais chaud, j’avais froid et je me sentais de plus en plus affaibli. Je me remis avec la plus vive confiance entre les bras de la divine Providence, en me plaçant avec amour dans le cœur de Notre-Seigneur, qui avait éprouvé de si grandes angoisses au jardin