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à faire, rien à dire, si ce n’est à m’abandonner à la conduite de la Providence. Cependant la pensée de mes pauvres chrétiens prisonniers ne m’abandonnait pas : Un jour j’en parlais au juge, et lui dis : « Oh ! si je pouvais voir le vieux Tchoi Jean. — Vous désirez le voir ? C’est bien facile, vous allez les voir, je vais les faire venir tous. » Aussitôt il donne l’ordre d’appeler tous les chrétiens qui vinrent les uns après les autres, leur vue me consola, je m’efforçais de les encourager à la patience, à la confiance en Dieu. Hélas ! j’étais mis en liberté, et eux restaient prisonniers ; qui comprendra bien la grandeur de cette épreuve ! Ma présence devait être pour eux un soulagement, et voilà que je les quitte ! Le vieux Jean demeura plus longtemps ; en sa présence, je demandais à ce chef ce qu’allaient devenir ces chrétiens prisonniers. Il répondit aussitôt : « Mais on va les renvoyer tous, à quoi bon les retenir puisqu’on renvoie leur chef ! » C’était à ne pas y croire et je vis bien que le vieux Jean n’y ajoutait pas foi. « Est-ce certain, repris-je ? — Mais certainement, il n’y a pas de doute, après votre départ on va les renvoyer tous chez eux, on va rendre à Tchoi-Laing-ouen (le vieux) la maison que vous habitiez et tout ce qui lui appartenait. » Le vieux nous quitta, il était bien triste. « Ah ! dit-il, je ne reverrai donc plus la figure de l’évêque ! » J’avais moi-même le cœur brisé. « Courage, lui dis-je, nous nous retrouverons certainement au ciel. » Là-dessus, il partit, retourna en prison et je ne l’ai plus vu depuis.

On avait transporté mes caisses qui se trouvaient au tribunal de droite à celui de gauche. Plusieurs officiers vinrent, on ouvrit mes caisses et on étendit les objets qu’elles contenaient sur le parquet. Tout avait été bouleversé, brisé et mis en désordre. Ils firent un inventaire de tout ce qu’il y avait et puis vinrent m’apporter la liste en me demandant de la signer. « Signer quoi, leur dis-je ? — Mais cette liste, par laquelle tu reconnais les objets qui t’appartiennent et qu’on va te remettre. — Comment, plus des trois quarts des objets que vous avez pris dans ma maison ont disparu ! Non, je ne veux pas, je ne puis pas signer cela. » Ils parurent surpris et un peu désappointés, puis ils se remirent de suite et dirent aussitôt avec astuce : « Au reste, cela ne nous regarde pas, on nous a dit seulement de faire l’inventaire, nous n’avons qu’à présenter cette liste telle qu’elle est au préfet de police. » Puis on ne me parla plus de la signature, qu’ils eussent exigée bien en vain, car j’étais résolu à ne pas la donner. En effet, un grand nombre d’objets avaient disparu,