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tiens. — Est-ce vrai ? — Mais certainement, leur maître étant parti, ils ne peuvent plus rien faire, que peut-on avoir à craindre ? on va tous les renvoyer chez eux. — Et cela sans nouveaux interrogatoires, sans supplices ? — Mais certainement. » Que croire de tout cela ; je ne croyais rien, je les connaissais si menteurs. Je pouvais même penser qu’on allait m’envoyer dans quelque autre endroit pour m’exécuter ; j’eus cette idée et me tins prêt à tout événement.

Bientôt la nouvelle se répandit en ville que j’étais sorti de prison et qu’on me gardait dans les appartements du tribunal où l’on pouvait me voir. Dès lors le tribunal fut envahi par une foule de curieux qui venaient comme en procession ; c’étaient des employés du gouvernement, des bourgeois, des nobles, etc., etc… Il fallait trois ou quatre gardiens pour maintenir la foule, et bientôt on fut obligé de me renfermer dans une cour, dont bien vite les murailles furent escaladées. Des satellites m’annonçaient leurs parents, leurs amis ; il me fallait recevoir tout ce monde, répondre à tous et à toutes les questions. Je le fis le mieux possible, pour la plus grande gloire de Dieu et le bien de la religion en Corée. Ce peuple de la capitale est vraiment bon ; tous me parlaient poliment et avec affabilité ; même les nobles qui se présentèrent, quelquefois au nombre d’une trentaine. Le mandarin gouverneur de la prison, qui avait ses appartements dans le tribunal, venait m’appeler et, renfermés chez lui avec quelques-uns de ses amis, nous causions tout à l’aise. Ils y prenaient un grand plaisir, apprenant ainsi une foule de choses qu’ils ignoraient, je pus même leur parler de la doctrine que j’étais venu prêcher. Le soir il m’appelait, et je me souviens d’être sorti deux fois, assez avant dans la nuit, pour répondre à ses questions. Il paraissait écouter mes réponses avec plaisir, avec intelligence. Il admirait l’explication de la création du monde et disait que la doctrine des dix commandements était bien belle. Par son entremise j’eus l’occasion de voir aussi plusieurs employés de la cour qui s’adressaient à lui pour se faire présenter, ces messieurs ne voulant pas se présenter comme de simples mortels ; alors nous faisions des échanges de politesse à la coréenne. Je dus bien souvent me tromper pour l’étiquette, mais on savait bien que je ne sortais pas du palais du roi.

Tout le monde parlait de mon départ, et bien des gens entre eux disaient : « On a bien fait de le renvoyer c’était la seule chose qu’il y eût à faire. » Entendant toutes ces paroles, je me disais : mais il paraît vraiment qu’on veut me renvoyer. Je n’avais rien