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rien ; cependant, comme la chose pouvait être possible, je pris avec le vieux toutes les dispositions nécessaires en cas d’une séparation. Quant au pauvre prétorien, je le revis quelques jours après ; on le ramenait du tribunal, il était porté sur le dos d’un valet, la tête pendante, sans connaissance, à la suite de la violente torture à laquelle il venait d’être soumis. Son entrée fit sensation dans la prison, on fut près d’une heure à le rappeler à la vie, à panser ses plaies. Depuis je n’en ai plus rien su.

XII

Le 5 juin je célébrais l’anniversaire de mon sacre ; j’en avais averti les chrétiens ; nous étions en fête, en fête dans un cachot ! Le prétorien, chef du poste, en grand costume, se présente devant notre porte : « Prenez votre grand habit, me dit-il, et suivez-moi. » Que pouvait-il y avoir de nouveau ? Je donnai une poignée de main au vieux, je bénis tous les chrétiens et sortis à la suite de mon guide qui me conduisit dans la chambre des satellites en dehors de la prison ; puis on me fit entrer dans la cour d’une autre prison qui était vide, on me donna de l’eau pour me laver, j’en avais bien besoin ! Faut-il dire que j’éprouvais une véritable jouissance en me lavant la figure, les mains et même les pieds… Le soleil paraissait, je caressai quelques brins d’herbe qui poussaient là, il y avait si longtemps que je n’en avais pas vu, je contemplais le ciel. Je pus même voir des montagnes dans le lointain ; tout me paraissait nouveau, tout me paraissait beau. Je pouvais me promener, ce qui me fit beaucoup de bien, mais comme je me sentais faible !

Plusieurs satellites vinrent me voir ; on me dit qu’on allait me renvoyer en Chine, que j’irais à Pékin où on me remettrait entre les mains des Européens, de mon pays ; qu’en ce moment on était en train de me faire des habits neufs pour le voyage, que quand tout serait prêt, on partirait. Je pensais que, si vraiment on voulait me renvoyer, le juge me le ferait dire de quelque manière ; j’attendis donc une communication officielle avant d’ajouter foi à toutes ces paroles. « Es-tu content de partir ? — Comment le serais-je ? Vous savez bien que je n’ai qu’un désir, c’est de rester ici pour continuer à enseigner, à répandre la religion ; puis on me renvoie et on laisse les chrétiens en prison, comment ne souffrirais-je pas ? — Mais on va mettre en liberté tous les chré-