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Ennuyé, je répondis : « Eh bien ! je le prononcerais Paik-na-ri. — Non, ce n’est pas cela. » J’avais beau leur dire que nous n’arriverions jamais de cette manière à une solution, ils s’obstinaient quand même.

Un chef des satellites s’approcha et me dit en souriant : « Toi tu t’appelles Pok-Myeng-i en coréen. — Oui. — Pok veut dire Hpe-ris-se. — Oui, Félix. — Myeng-i veut dire Ke-lai-ra. — Oui, Clair. — Eh bien ! dis-nous de la même manière ce que veut dire Paik-na-ri. » Quoique je visse bien qu’on n’arriverait encore à rien de cette manière, je m’y prêtais de bonne grâce. « Faites-moi voir, dis-je, les caractères. — Ce n’est pas nécessaire ; comment traduis-tu Paik en ta langue ? — Mais de quel Paik voulez-vous parler. » En effet, en coréen l’un signifie blanc, l’autre cent. « Eh bien ! écris ce son en coréen. » On me passa un pinceau et j’écrivis seng pour cent. « Et na comment le prononces-tu en français ? — Na est un pronom qui signifie moi. — Écris cela. » — J’écrivis en coréen moa pour moi. Le chef était triomphant, il trouvait que tout allait bien, il était assuré du succès. Pour moi je m’efforçais de me prêter le mieux possible à cette comédie, non sans faire observer assez gaiement que de la sorte on n’arriverait pas mieux au but. « Et ri, comment se dit-il en français ? — Il y a beaucoup de ri en coréen, duquel voulez-vous parler ? — du ri, la mesure pour les distances de lieux. — En français, il n’y a pas de ri, mais dix ri font une lieue, le mot français. — Écris ce mot. » J’écris encore en coréen rieu pour lieue le mieux possible. J’avais donc écrit Seng-moa-rieu. Tout triomphant, il alla porter le résultat au grand juge qui avait suivi avec beaucoup d’intérêt et de patience, tout ce petit drame et qui lut Seng-moa-rieu. « Eh bien ! dit-il, demandez-lui s’il connaît un personnage de son pays qui s’appelle Seng-moa-rieu ? » Je ne pus m’empêcher de rire, et sans avoir besoin d’interroger longtemps ma mémoire, je répondis : « Non, je ne connais personne portant ce nom. » Désappointement général ! Évidemment nous avions fait fausse route.

Cependant ils ne se découragèrent pas, et nous dûmes procéder de la même manière pour deux ou trois autres noms de lieu ou de personne qu’ils ne connaissaient pas et moi pas plus qu’eux. Le résultat eut le même succès ; mais je m’abstiens de vous décrire la scène, cela suffit pour vous donner l’idée du genre. Quand je pense que tout l’interrogatoire, qui fut assez long, se passa de la sorte à expliquer des noms que personne ne connaissait.