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ment. Si l’épreuve est pénible, le secours de la grâce se fait bien sentir. Les chrétiens, qui étaient avec moi, persévéraient dans la prière, la confiance en Dieu et l’abandon à la divine Providence. Cependant on les entendait dire quelquefois : « Jusqu’à quand resterons-nous donc ainsi, c’est une position dont on ne peut prévoir le terme, si on veut nous mettre à mort, que ce soit le plus tôt possible. » Puis, en d’autres moments aussi, venait l’espoir que peut-être ils seraient relâchés ; alors le souvenir de leur famille, de leurs enfants, de leurs parents se présentait comme un rêve au bout duquel se trouvait encore la prison, toujours la prison, une prison sans fin. Alors ils se recueillaient, priaient pour leurs parents et demandaient pour eux-mêmes des grâces de force, de courage et de persévérance.

Le 31 mai, lendemain de l’Ascension, nous apprîmes que les deux préfets de police devaient venir le lendemain établir leur tribunal dans l’appartement des satellites, antichambre de la prison. Évidemment il allait y avoir du nouveau, et bien certainement c’était de nous qu’on devait s’occuper ; mais de quoi s’agissait-il ? impossible de le savoir. En tous cas, c’était une bonne nouvelle ; que pouvait-il nous arriver de plus pénible que ce séjour prolongé dans notre cachot ?

XI

Le lendemain, en effet, 1er jour de juin, un grand mouvement se fit en dehors de la prison. Un prisonnier de nos amis vient nous dire en secret que c’est de moi qu’il s’agit, que je dois comparaître encore devant les deux juges, venus exprès pour m’interroger. Quelques instants après, un satellite bien habillé se présente et m’invite à le suivre ; nous traversons la cour ; la porte de la prison s’ouvre et je me trouve entre deux haies de satellites, ayant devant moi les deux mêmes juges que vous connaissez par la description que j’en ai faite plus haut. Cependant il y a une différence dans le costume ; aujourd’hui ils sont habillés en bourgeois ou plutôt en nobles, de beaux habits de soie, le large chapeau civil, surmonté d’un bijou, espèce de petite statue en jade appelée ok-nou, ils tiennent leur éventail à la main et, tranquillement assis, fument dans de longues pipes le bon tabac des provinces du nord. Les deux rangs de satellites ne se composent guère que de chefs, les hommes aux longs.