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convenable. — Oui, ajouta le vieux que cette observation avait flatté, voyez cette vieille dame, elle a soixante-douze ans, il y a longtemps qu’elle est ici ; elle a souffert beaucoup, et jamais on n’a vu quelque chose d’inconvenant dans sa tenue, au contraire elle a toujours été très-convenable et même modeste, ce sont les vieilles qui se tiennent le mieux, ne pouvez-vous pas en faire autant ? » L’avis était bon, mais il ne fut pas toujours bien suivi par ces personnes sans éducation, je pourrais même dire sans morale ; car ce monde païen, quelle morale peut-il avoir ? Je dois ajouter que ces personnes ne paraissaient pas avoir une mauvaise nature, elles semblaient douces, timides et, à les voir une première fois, même modestes ; mais l’éducation leur manquait, il faut se rappeler que c’étaient des femmes de voleurs ; si, au contraire, elles avaient reçu une éducation chrétienne, ces natures auraient été changées et elles auraient pu devenir des personnes ornées de toutes les vertus. Qu’ils sont donc à plaindre ces pauvres païens ! Prions Dieu qu’il les éclaire de la lumière de la foi.

Tous ces détails vous font voir dans quelle position je me trouvais. Quelle situation pour un évêque ! Que de fois j’ai pensé au pape saint Marcel, condamné par Maxence à vivre dans une étable et à prendre soin des bêtes ; ce souvenir m’encourageait, me fortifiait. Puis plus récemment, n’avais-je pas l’exemple de mes prédécesseurs, trois évêques, de nos confrères qui avaient passé par cette prison construite depuis plus de cinquante ans ? peut-être avaient-ils habité le même cachot ; si ces murs avaient pu parler, que de choses j’aurais apprises ! Pouvais-je ne pas penser à tant d’autres évêques emprisonnés en Russie, en Allemagne ; Mgr de Macédo, mon ami, mon condisciple à Saint-Sulpice, avait-il été traité mieux que moi par ses geôliers ? Et maintenant que me voici chassé, exilé, n’ai-je pas encore l’exemple des évêques de Suisse, de Pologne ? Toujours et partout la persécution ! Ce ne sont pas ceux qui souffrent de la sorte qu’il faut plaindre, il faut plaindre surtout leurs bourreaux, il faut plaindre ceux qui se laissent vaincre par la persécution.

Ainsi se passaient nos jours, dans les souffrances ; on semblait nous avoir oubliés de nouveau, et ne plus penser à nous. Cette longue incarcération est une épreuve bien terrible pour les chrétiens, c’est comme un long martyre de tous les jours ; la tête se fatigue, le corps s’affaiblit, le caractère même devient difficile. Une foi vive, une piété constante et surtout une humilité sincère peuvent seules, avec la grâce du bon Dieu, soutenir la faiblesse et empêcher de succomber à l’ennui, au décourage-