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aujourd’hui, le mercredi également, enfin le jeudi arrive, puis se passe. Avait-on donc encore changé de sentiment à notre sujet ? Il nous fut toujours impossible de rien savoir. Nous étions du reste tout prêts pour le moment qu’on voudrait. — Cependant mon pauvre vieux s’affaiblissait de plus en plus, il était souvent malade et faisait pitié à voir. Moi-même je me sentais très affaibli, mes forces s’en allaient. Les satellites qui venaient nous voir en faisaient la remarque, « comme il est changé ! il souffre beaucoup ici ! » dans les premiers temps je pouvais prendre un peu l’air et faire quelques pas dans la cour, mais à cette époque, les prisonniers étaient si nombreux que tout était encombré ; il était impossible de circuler ; de plus, la chaleur commençait à se faire sentir, notre cachot devenait de plus en plus infect, surtout à cette époque où l’on mit chez nous trois femmes de voleurs, dont deux avaient des petites filles de deux à trois ans, toutes remarquables par leur malpropreté, leur caractère mauvais, acariâtre, colère, et leur tenue plus qu’inconvenante.

Vers cette époque aussi, un chef de satellites, assez brave homme, vint me voir et me dit : « Mais on n’a pas de nouvelles des Pères, on ne peut pas les trouver ; pour moi je crois que c’est inutile de les chercher, ils sont certainement partis, qu’en pensez-vous ? — Ici je ne puis rien savoir, n’ayant pas de communication avec l’extérieur ; mais, vu la difficulté de rester dans le pays, ils pourraient bien être partis. — Oui, oui, c’est mon sentiment, je crois que c’est bien inutile de les chercher. — Et moi aussi, ajoutai-je, vous y perdez bien votre temps et votre peine. » De la sorte le bruit pouvait se répandre que les Pères s’étaient enfuis en Chine ; ce n’était pas un mal, bien au contraire ; car, persuadés qu’ils n’étaient plus dans le pays, les satellites devaient naturellement cesser les recherches.

De temps à autre, quelques satellites venaient à la prison, soit comme passe-temps, soit pour affaires. Un jour, il en vint un que je ne connaissais pas, il m’adressa la parole d’une manière inconvenante, je ne lui répondis pas. « Comment coquin, me dit-il, tu ne me réponds pas et tu oses rester assis devant moi ? Tiens, regarde donc, ajouta-t-il, en me montrant sa plaque de satellite, tu sais maintenant qui je suis. » Même silence et même immobilité de ma part. Il se retira furieux en répétant ses injures. Le chef geôlier vint quelques instants après, les prisonniers, indignés de la manière dont je venais d’être traité, lui racontèrent la chose telle qu’elle venait de se passer. « Quel est celui qui a pu dire de telles choses à l’Évêque, dit-il ; qui oserait