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un peu de nos amis, il nous avait surtout promis de nous avertir à l’avance quand il apprendrait que nous devions être mis à mort ; venant de lui, cet avis ne devait nous laisser aucun doute. Il ne nous restait plus qu’à nous préparer ; c’est ce que nous faisions tous les jours, nous tenant toujours prêts, mais nous primes la résolution de le faire d’une manière plus spéciale. Jamais je n’avais été seul avec les chrétiens, toujours nous avions eu avec nous quelques païens, je n’ai donc pas pu les confesser. En cette circonstance je leur fis dire de se préparer et que, le lendemain dimanche, je leur donnerais une absolution générale.

Le lendemain matin dimanche 12, en ouvrant les portes, on retira un cadavre de la prison des voleurs, je reconnus que c’était un chrétien mort pendant la nuit. J’appris alors que la veille, étant malade, il avait demandé un peu d’eau ; le gardien, pour toute réponse, lui avait asséné force coups de bâton, à la suite desquels il avait rendu l’âme. Peut-être allait-on tuer tous les chrétiens ainsi. Vers neuf heures, je fis signe que j’allais donner l’absolution à tous les chrétiens de la prison ; malheureusement il nous était impossible d’avertir ceux qui se trouvaient avec les voleurs dans notre compartiment, les chrétiens se recueillent et je prononce la formule d’absolution. Deux heures après on sort encore un cadavre de la prison des voleurs ; c’est encore un chrétien mort comme l’autre, de faim, de misère et de mauvais traitements. Le vieux Jean pouvant me parler assez facilement, je pus entendre à moitié sa confession. Puis chacun se recueillit davantage pour passer, dans la retraite intérieure, les derniers instants qui nous restaient à vivre ; c’étaient des instants bien précieux. Les païennes, qui se trouvaient avec nous et qui connaissaient notre position, respectaient notre silence, et quand elles parlaient, c’était pour blâmer la cruauté du gouvernement à l’égard de ces pauvres femmes chrétiennes, qu’elles ne connaissaient que depuis quelques jours, mais qu’elles estimaient, qu’elles aimaient et qui toutes montrèrent en cette circonstance un grand courage. On parlait alors ouvertement dans la prison et même au dehors de la décision prise à notre égard.

Le lundi 13, vers quatre heures, un employé apporta la corde à étrangler et la suspendit devant nos yeux à la porte de l’usine à exécution. Évidemment on allait commencer. Pour qui était-ce ? chacun pouvait se préparer plus immédiatement, je me tenais prêt à donner une dernière absolution à nos chrétiens, à mesure qu’ils passeraient ; je me tenais moi-même prêt à passer. Dans quelques instants, je pouvais échanger cette prison pour