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voyait ensuite. Toutes furent déposées dans notre cabanon ; en arrivant, c’étaient des lamentations, des pleurs, un chagrin qui allait jusqu’à leur faire refuser toute nourriture ; mais elles n’étaient pas longtemps à se remettre, et comme elles pouvaient se procurer ce qu’elles voulaient par le moyen de leurs familles, elles faisaient généralement bombance. Du reste, elles étaient généreuses et toutes partageaient avec les chrétiennes ce qu’elles recevaient. Elles m’offrirent même plusieurs fois du vin de riz… mais je refusai ; le vieux Jean, qui n’avait pas les mêmes raisons, put accepter ainsi quelques tasses de vin qui lui firent du bien. J’en ai vu de toute sorte, de vieilles, de jeunes, de tristes, de gaies, etc… les unes se tenant assez bien, les autres d’un laisser-aller effrayant. Mais pour toutes, quel contraste avec la simplicité, la modestie de nos chrétiennes qui, par leur charité, s’attiraient la bienveillance, l’affection de ces femmes toujours en guerre entre elles.

J’eus aussi l’occasion de voir dans la prison quatre saltimbanques ou comédiens : c’étaient des êtres hideux, dégradés, passant leur temps à jouer. Les prisonniers pour dettes étaient nombreux et, à cette époque, en tout, le nombre des détenus s’élevait à soixante-cinq.

X

Depuis la reprise des affaires, nous pensions qu’on s’occuperait de nous et qu’on ne nous laisserait pas ainsi pourrir dans le cachot. Un soir, le 11 du mois de mai, j’entendis la jeune chrétienne qui disait au vieux Jean : « Dites-le donc à l’évêque ». J’ignorais ce dont il pouvait s’agir, et comme on ne me disait rien, j’interrogeai le vieux en lui disant : « Qu’est-ce qu’il y a donc ? » Il me regarda avec une figure sérieuse et me dit : « L’évêque le saura demain. » Cette réponse ne fit qu’augmenter ma curiosité : « Et pourquoi ne me diras-tu pas ce soir une chose que, tous, vous savez ici ? » Alors il se recueillit et me dit : « L’ordre du gouvernement est arrivé ; l’évêque et moi devons être conduits en dehors des murs pour avoir la tête tranchée ; les chrétiens seront tous étranglés là, vis-à-vis, dans la chambre des cadavres ; il n’y a que la jeune que le geôlier refuse d’étrangler, il lui donnera un breuvage pour l’empoisonner ; c’est une chose certaine et tout doit être fini pour le 16. » Je l’ai dit, le chef geôlier était