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puis quelque temps après, il parait que l’on trouva des circonstances atténuantes, car du cachot des voleurs on le transporta dans le cabanon des prisonniers pour dettes où il fut pris de la fièvre typhoïde ; les détenus de ce compartiment effrayés le firent alors déposer dans le nôtre. Pendant huit jours, il demeura comme mort ; nous fîmes ce que nous pûmes pour le soigner, mais nous manquions de tout. Enfin peu à peu il revint à la vie, souffrant cependant extrêmement par suite des coups qu’il avait reçus. Il paraissait doux, calme et parlait peu ; il était difficile de trouver en lui un grand criminel. Il nous raconta son histoire.

À l’âge de douze ans, il était entré chez les bonzes où il s’adonna à l’étude des caractères chinois ; il apprit ensuite à faire les fleurs artificielles et y devint très-habile ; depuis deux ans il se livrait à l’étude de la peinture ; il était dans sa bonzerie, travaillant à un tableau, lorsque les satellites le saisirent et le conduisirent en prison. Il ignorait d’abord le motif de son arrestation, mais il l’avait appris depuis. Son maître avait acheté à des voleurs des objets volés, les satellites le sachant vont pour le prendre, mais averti à temps, il s’enfuit : ne le trouvant pas, les satellites prennent ce jeune homme âgé de trente-deux ans et occupé à ses peintures. Ils veulent aussi arrêter quelques personnes du village qui se défendent et même battent un des satellites. Ceux-ci ne pouvant prendre le coupable, saisissent trois individus, ce sont les prisonniers dont j’ai parlé plus haut. Souvent j’ai pu les voir dans la cour, c’étaient de braves gens, forts et vigoureux ; on voyait sur leurs habits de larges taches du sang qu’ils avaient perdu, sous les coups reçus en prison ; au bout de quelques jours ils étaient méconnaissables… Plus tard on a reconnu que tous étaient innocents, et après un mois de prison on les a renvoyés, sans indemnité, bien entendu. Telle est la justice en Corée.

À cette époque aussi, se présenta un jeune prisonnier volontaire nommé Pack, âgé de vingt ans : « J’ai appris, dit-il, que vous avez arrêté l’évêque, mon maître, que vous arrêtez les chrétiens ; eh bien ! moi aussi je suis chrétien, vous n’avez pas pu me prendre, je viens me présenter, je suis chrétien depuis l’enfance, mon père et ma mère ont été tués par vous en 1868, je n’avais que dix ans, mais j’ai retenu leurs instructions ; j’honore Dieu, créateur du ciel et de la terre ; c’est lui qui gouverne tout, qui nous donne la nourriture, les habits, qui nous conserve la vie ; il a souffert pour nous ; moi aussi je veux souffrir pour lui, je ne désire rien tant que d’endurer vos tortures, faites-moi souffrir