Page:Ridel - Relation de la captivité et de la délivrance de Mgr Ridel, 1879.pdf/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 48 —

entrant, elle jeta sur nous tous un regard de mépris et parut très-étonnée qu’on la mît en semblable compagnie. « Oh ! dit-elle, je ne dois pas rester ici longtemps, c’est sans doute par erreur qu’on m’a amenée ici ; car moi, je ne suis pas une voleuse, encore moins une Htyen-tjyou-akn, nom injurieux que les païens emploient pour désigner les chrétiens. Elle refusa la nourriture de la prison et se fit apporter du vin, tout alla bien tant qu’elle eut de l’argent ; elle se montrait arrogante, hautaine pour les pauvres chrétiens qu’elle allait jusqu’à injurier. Cependant ses affaires ne tournèrent pas bien, elle ne recevait plus rien du dehors et enfin fut prise de la fièvre typhoïde ; les trois chrétiennes se dévouèrent pour la soigner jour et nuit, malgré son mauvais caractère, son mépris et ses injures. Elle resta cinq jours sans connaissance, et comme personne du dehors ne s’occupait d’elle, elle serait infailliblement morte, sans les bons soins de ces pauvres chrétiennes, qui ainsi se vengeaient noblement. Plus tard elle reconnut ses torts et fit ses excuses ; comme elle était changée au physique et au moral ! quand je sortis, elle était encore en prison.

L’arrivée d’un nouveau prisonnier fait toujours sensation et cause une émotion bien pénible ; au contraire l’élargissement d’un détenu cause une joie générale, chacun y prend part et félicite l’heureux libéré. Quand un prisonnier arrive, le soldat qui le conduit pousse un grand cri à la porte de la cour du tribunal en disant : « Un criminel est introduit. » Alors chacun se demande qui ce peut être. Nous nous disions : Ne serait-ce pas un chrétien ? et, dans l’inquiétude, nous attendions l’arrivée du pauvre malheureux. Un jour, vers le milieu du mois d’avril, nous entendons pousser ce cri si désagréable : après quelques instants, on introduit trois prisonniers ; dès les premiers mots nous apprenons que ce ne sont pas des chrétiens, ce qui nous procure un grand soulagement. Mais les pauvres malheureux introduits brusquement sont jetés dans le cachot des voleurs et mis aux fers. Plusieurs gardiens sont réunis, nous entendons le bruit des coups de gourdin qu’on leur administre sans mesure, les cris de douleur, les gémissements des victimes qui font des soubresauts, de manière à soulever les deux grosses pièces de bois dans lesquelles ces infortunés ont les jambes prises ; nous pensons qu’on va les assommer. Quel triste, quel terrible spectacle ! Après cette scène un gardien vient dans notre cabanon et dit : « Ah ! ceux-là ne sortiront pas vivants d’ici, ils ont battu un satellite ! »

Deux jours après, un bonze est introduit de la même manière ;