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savons pas comment cela se fait. — Tout ce qu’on voudra, mais pour moi je ne quitterais pas mon pays pour aller enseigner une doctrine. — Eh bien ! eux ne sont pas comme toi. Ainsi il y a des pays bien loin de chez eux, dont les habitants vivaient comme des bêtes et mangeaient les autres hommes (hilarité générale) ; oui, c’est vrai, c’est lui qui nous l’a dit ; il y a des hommes comme lui qui y sont allés pour leur parler de doctrine ; ces sauvages en les voyant eurent de l’appétit : ça devait être bien bon de la chair toute blanche, pour eux qui sont tout noirs. Eh bien ! ils les ont mangés ! (nouvelle hilarité). — Est-ce que c’est vrai qu’il y a des hommes noirs ? ce sont des bêtes ; et ils mangent encore des hommes ? — Non, pas maintenant, il y a d’autres hommes comme lui qui y sont allés ; peu à peu ils les ont instruits, et maintenant ils sont devenus comme les autres hommes. — Ils ne sont plus noirs ? Ils sont toujours noirs, mais ils ne mangent plus d’hommes. — Oh bien ! vraiment, ça c’est beau, ils ont bien fait d’aller dans ces pays, mais ici, en Corée, c’est inutile ; ils feraient mieux de ne plus y venir ; qu’avons-nous besoin d’autre doctrine, etc. ? » Je donne ici comme spécimen cet extrait de conversation, je pourrais en citer bien d’autres, il y en a aussi que je ne pourrais pas citer du tout ; mais c’est suffisant pour vous donner une idée du genre ; il est temps maintenant, après ce coup d’œil sur l’ensemble de la prison, de reprendre le récit des faits les plus saillants qui se sont passés, durant mon séjour dans ce lieu de détention.

IX

Pour quel motif nous avait-on transportés au tribunal de gauche, pour quel motif m’avait-on mis en prison, quelle était l’intention du gouvernement en agissant de la sorte ? Jusqu’ici il m’a été impossible de le savoir. Quoi qu’il en soit, nous nous tenions prêts à tout, en nous abandonnant à la sainte volonté de Dieu et aux soins de la divine Providence pour tout ce qui nous concernait. Nous ne pouvions rien faire, nous n’avions rien à faire qu’à conserver notre âme unie à Dieu, notre volonté soumise à sa sainte volonté et à nous tenir prêts à paraître devant sa sainte Majesté, quand il voudrait et de la manière qu’il le voudrait. Nous penchions à espérer que ce serait bientôt, quand, le 21 mars au matin, circula tout à coup dans la prison un bruit