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Carême, heureusement je me rappelai que cette année Pâques arrivait le 21 avril, le 19 de la 3e lune.

Mon vieux Jean parlait peu et j’ai passé plusieurs fois bien des jours sans dire une parole ; ce que nous disions entre nous était toujours suspect, on nous observait ; cependant j’ai pu parler assez souvent avec quelques-uns des prisonniers pour dettes. Ils étaient les gros bonnets de l’endroit ; parmi eux, beaucoup nous méprisaient ; mais j’en ai rencontré plusieurs qui s’intéressaient à nous, nous prenaient en pitié. Du reste, presque tous étaient contents d’entendre mes histoires et les explications que je pouvais leur donner quand il ne s’agissait pas de religion. La plupart sont curieux, mais pas sérieux ; si j’avais voulu leur parler de l’Europe, des inventions, etc., etc…, de babioles, tous auraient pris plaisir à m’écouter. Je l’ai fait quelquefois pour leur faire plaisir et les apprivoiser, mais ce n’était pas là mon but. J’ai pu de la sorte leur faire à peu près un cours abrégé de géographie et d’astronomie, etc., leur parler des bateaux à vapeur que plusieurs avaient vus et qu’ils admirent ; il me fallait surtout répondre à leurs questions, souvent saugrenues. En effet, que de choses absurdes ils m’ont demandées ! par exemple, sur le peuple des cyclopes, etc… ; ils m’examinaient en tous sens et finissaient par s’extasier en disant « Mais c’est un homme comme nous ! — Oui, disaient quelques-uns, mais quelle barbe ! » Alors c’était de l’admiration, et je puis bien ajouter qu’elle était jointe à une petite pointe d’envie. Généralement les Coréens ne peuvent s’imaginer que nous soyons venus en Corée pour affaire de doctrine ; si on leur dit que notre seul but est de prêcher la religion, ils ne veulent pas le croire. « C’est pour connaître notre pays, disent les uns, et pour s’en emparer. » D’autres disent : « C’est pour faire du commerce et s’enrichir. » Alors quelques-uns plus avisés répondaient : « s’ils voulaient s’emparer de notre pays, ils viendraient avec des soldats… s’ils sont venus pour s’enrichir, ils n’ont guère réussi, puisque chez eux on n’a trouvé que des objets européens et très-peu d’argent ; et puis s’exposer ainsi à mourir pour faire fortune ! Il est vrai que notre pays est si beau, si riche, produisant de tout, avec plaines fertiles et montagnes boisées, etc… Et que savez-vous si leur pays n’est pas aussi beau que le nôtre ; en tout cas, ils sont bien habiles, les Européens ; avez-vous vu les horloges et les bateaux à vapeur ? — Oh ! pour l’habileté, nous Coréens, nous ne le cédons à personne, nous pourrions bien, nous aussi, faire tout cela, mais nous ne