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n’osent approcher de ces lieux affreux. Ce sont des victimes vouées à toutes les tortures et à la mort ; personne pour les plaindre, pour panser leurs blessures, pour leur donner même une tasse d’eau fraîche, dans le plus terrible accès d’une fièvre violente. Parce qu’ils sont chrétiens, ce ne sont plus des Coréens, ce ne sont plus des hommes, c’est quelque chose de moins qu’une bête, dont on doit se défaire et qui peut servir à assouvir la passion de la cruauté et de la barbarie.

VIII

C’est là que j’ai eu le bonheur de vivre pensant bien y mourir, pour la plus grande gloire de Dieu. Si j’ai souffert beaucoup pendant ces jours de captivité, j’ai été consolé bien souvent par la vue de nos chrétiens. Doux, patients, tranquilles, saisissant l’occasion de rendre service à tout le monde, il ne leur échappait jamais une injure, ni une mauvaise parole. Dès le matin ils commençaient leur journée par la prière, ils priaient et méditaient pendant le jour, et le soir, quelquefois pendant la nuit, ils faisaient encore de longues prières. On prie bien en prison. Dieu semble plus présent et l’on connaît mieux son propre néant. Pour employer mon temps, je m’étais fait un règlement, et ainsi je pouvais faire tous mes exercices, ordinairement sans être dérangé. Je disais la messe en esprit ou j’y assistais de la même manière ; je n’avais pas de bréviaire, j’y suppléais par le rosaire, ayant bien soin de cacher mon chapelet que l’on aurait pu m’enlever. J’aimais à me transporter dans quelque église pour y faire ma visite au Très-Saint Sacrement. Dans le cours de la journée, je pouvais facilement faire plusieurs méditations, et mon temps était réglé comme pour une retraite de huit jours ; elle s’est prolongée bien au-delà. Un autre exercice que l’on fait bien en prison et qui apporte beaucoup de consolations, c’est le chemin de la croix. Que de grâces le Seigneur me prodiguait dans ces jours de recueillement ! Je n’avais aucune inquiétude et je m’étais remis tout entier entre les mains du bon Dieu pour faire en tout sa sainte volonté, persuadé qu’il ne m’arriverait que ce que Dieu voudrait bien permettre.

Ainsi se passèrent les belles fêtes de la Passion. Le jour de Pâques nous nous réjouîmes avec tous les chrétiens et nous. eûmes une petite cérémonie. J’avais heureusement conservé