Page:Ridel - Relation de la captivité et de la délivrance de Mgr Ridel, 1879.pdf/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 40 —

leur faisions passer une partie de notre riz. Trois fois ils ont été appliqués à la torture ; en rentrant ils étaient tout tremblants et pouvaient à peine respirer. Quelque temps après on les fit passer dans la prison des voleurs pour mettre d’autres prisonniers à leur place. Deux d’entre eux moururent de faim et de mauvais traitements le 12 du mois de mai.

Trois femmes chrétiennes de la capitale arrêtées presque en même temps que nous, habitaient également le même cachot. Quand j’arrivai l’une d’elles était malade, atteinte de la peste ou fièvre typhoïde, qui est en permanence dans cette prison, elle avait vingt-six ans et était mère de deux charmants petits enfants, dont le dernier n’avait que six mois. Mariée à un païen pendant la persécution, elle avait instruit et converti son mari qui était prêt et disposé à recevoir le baptême, ainsi que son beau-père et sa belle-mère. Malheureusement, me dit-on, elle a eu la faiblesse d’apostasier. Je la prenais en pitié, lorsque je la vis, saisissant le moment où personne ne l’apercevait, se mettre à faire plusieurs fois le signe de la croix en me regardant, et la nuit elle dit à la femme chrétienne qui la soignait : « Ma grande maladie est d’avoir eu le malheur d’apostasier. Oh ! que je suis coupable ! » Et elle versait des larmes abondantes. Comme il m’était impossible de la confesser, je la fis prévenir que je lui donnerais l’absolution. Elle s’y prépara et le matin, à un signal convenu, sans bouger de ma place, je prononçai la formule. Quel bonheur pour elle ! c’était le meilleur remède à sa maladie qui, dès ce moment, prit une bonne tournure ; le danger disparut et bientôt la malade entra en convalescence. Je n’ai jamais pu lui parler, mais bien des fois j’ai eu l’occasion d’admirer son bon caractère, sa piété, sa confiance en Dieu, et la justesse de son esprit. Son mari qui passait pour païen pouvait non pas la voir, mais lui parler par l’ouverture qui sert à laisser écouler les immondices des lieux d’aisances ; le geôlier lui accordait cette faveur. De la sorte nous avons pu avoir quelques nouvelles du dehors, mais jamais de la chrétienté ; nous avons pu recevoir même quelques provisions. Les deux autres femmes étaient de pauvres vieilles assez âgées. Toutes trois avaient été appliquées à la torture, ce qui les faisait le plus souffrir c’étaient les propos obscènes des bourreaux et des présidents et l’indécence avec laquelle on les avait traitées.

Une quatrième était morte de la peste, deux jours avant mon entrée dans ce cachot. C’était Catherine, femme du vieux Marc, catéchiste de la capitale, mis à mort en 1866. Dénoncée par le